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bénéfices, tels que le monopole des peaux de buffles. Il lui en coûta plusieurs années et presque toute sa fortune pour préparer son expédition. Il avait établi un fort sur l’Illinois et s’épuisait à de pénibles excursions préliminaires entre ce fort et Montréal.

Mais, comme il arrive toujours lorsqu’un homme s’empare d’une idée, il se trouva qu’au bout d’un certain temps La Salle eut des concurrens qui réussirent d’abord mieux que lui. En 1673, Joliet, un marchand, et Marquette, un prêtre, traversèrent le pays et atteignirent les bords du Mississipi. Ils arrivèrent par les grands lacs et suivirent, en pirogue, la Fox-River et le Wisconsin. Marquette avait fait vœu, lors de la fête de l’Immaculée-Conception, s’il arrivait à découvrir la grande rivière, de la baptiser du nom de Conception, en l’honneur de la vierge Marie ; il tint parole. Le 17 juin 1673, Joliet et Marquette parvinrent à la jonction du Wisconsin avec le Mississipi. Devant eux, un courant rapide croisait leur route, et le large fleuve descendait, contournant d’imposantes hauteurs couvertes d’épaisses forêts. Ils allèrent vers le sud, à travers une solitude immense où ne se révélait aucune trace humaine. Ils s’avançaient prudemment, mettant pied à terre chaque soir pour faire cuire leur repas ; puis, se rembarquant, ils avançaient un peu plus loin et jetaient l’ancre, ayant soin de mettre un des leurs en sentinelle. Ils voyagèrent ainsi quinze jours durant, sans rencontrer âme qui vécût. Au bout de ce temps, ils aperçurent, dans le sable du rivage, des empreintes humaines ; il les suivirent ; et, malgré les préjugés répandus sur le compte des Indiens, furent accueillis par eux avec beaucoup de bienveillance. Ces sauvages allèrent même jusqu’à enlever leur dernier haillon, par esprit de coquetterie sans doute, et obligèrent leurs hôtes à avaler force victuailles bizarres (entre autres du chien), en introduisant les morceaux de choix dans leur bouche avec des doigts qui ignoraient l’usage des gants.

Les hardis explorateurs continuèrent ensuite leur route. Ils parvinrent à l’endroit où le Missouri verse dans notre fleuve un torrent de boue jaunâtre, dont les flots bouillonnans entraînent mille débris arrachés aux rivages d’alentour, ils dépassèrent aussi l’embouchure de l’Ohio, traversèrent des marais pleins de roseaux et de moustiques, et se trouvèrent enfin dans des régions plus méridionales, où le soleil les brûlait à travers l’ombre insuffisante des tendelets qu’ils avaient essayé d’organiser. Ils avaient à peine, de temps en temps, l’occasion d’échanger quelques civilités avec les rares tribus d’Indiens. Ils finirent par atteindre ainsi l’embouchure de l’Arkansas un mois environ après leur départ. Là, l’accueil fut moins satisfaisant au premier abord, et les sauvages s’élancèrent