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les enflammait ensuite en exaltant la gloire de tous les hommes de cœur qui, depuis Daniel et les Macchabées jusqu’aux victimes de Néron et de Domitien, avaient bravé les supplices pour garder leur foi ; enfin, on leur montrait la récompense réservée à ceux qui ne se laissent pas vaincre par le bourreau et le paradis ouvert pour les recevoir. C’étaient surtout ces belles espérances qui donnaient aux patiens un courage surhumain. « Le corps, dit Tertullien, ne s’aperçoit pas des tourmens lorsque l’âme est toute dans le ciel. » On arrivait ainsi à créer de ces élans de passion capables de supprimer chez les victimes le sentiment de la douleur. Les pères de l’église comparaient cette préparation à celle qu’on faisait subir aux athlètes pour les habituer à la lutte et les armer contre la souffrance et contre la mort. Elle me rappelle un autre souvenir. Quand la philosophie grecque, fatiguée de beaucoup d’aventures, s’enferma dans l’étude de la morale pratique et n’aspira plus qu’à donner des règles pour la conduite de la vie, elle conçut, dans ce domaine restreint, de vastes espérances. Il lui sembla d’abord possible d’arriver, par un effort de l’âme, à dompter les passions et à détacher si complètement l’homme des choses de ce monde, qu’il ne se sentit plus blessé quand il les perdait. Elle espéra ensuite qu’elle pourrait étendre plus loin son pouvoir et le rendre insensible à la douleur physique comme aux peines morales. C’est la prétention qu’affichent, après Socrate, les écoles les plus diverses. Toutes ont des formules, presque des recettes, qu’elles enseignent à leurs adeptes, et dont elles vantent l’efficacité. Les épicuriens prétendent que, pour rendre la souffrance présente plus légère, il suffit de penser fortement à une volupté passée ; les stoïciens affirment qu’à force de se redire à soi-même que la douleur n’est pas un mal, on finit par se le persuader, et qu’on en souffre moins les atteintes. Quel a été le succès de leur entreprise ? Assurément il n’a pas dû répondre tout à fait à leur ambition ; quand on s’en prend à la nature humaine et qu’on veut lui faire violence, on ne peut pas espérer une victoire complète. Mais, pour prétendre que ce grand effort est resté entièrement stérile, il faut ne pas savoir combien la peur d’un mal en augmente l’intensité et le pouvoir que l’âme peut exercer sur le corps. Dans tous les cas, l’histoire des persécutions nous montre les chrétiens réalisant ce qu’avaient tenté les philosophes. Eux aussi, à leur manière, travaillaient à mettre le corps sous la dépendance plus étroite de l’âme ; eux aussi, comme les épicuriens et les stoïciens, cherchaient des moyens de le fortifier contre la souffrance et contre la mort. « Allons, bourreau, fait dire Prudence à l’un des martyrs, brûle, déchire, torture ces membres qui ne sont qu’un amas de boue. Il t’est facile de détruire cet assemblage fragile. Quant à mon âme, malgré tous les