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le thermomètre marque pendant toute l’année de 25° à 27° Réaumur. Néanmoins, les Européens y vivent jusqu'à un âge avancé, tandis que les indigènes atteignent rarement la vieillesse.

Au départ, les missionnaires me disent que, dans dix ans d’ici, les habitans de Samoa se rappelleraient le nom de l’Espiêgle, celui du capitaine Bridge et le mien. Ils sont doués d’une mémoire et d’une faculté d’observation remarquables. Ils donnent des noms aux moindres mouvemens de terrain, à toutes les falaises, aux plus petites criques. Ils connaissent exactement les habitudes des différens animaux. En général, ils sont éveillés à un certain degré et intelligens jusqu'à une certaine limite qu'ils ne dépassent jamais.

Le couvent des sœurs, dont deux sont Françaises et cinq indigènes, se trouve à quelques pas de la mission. Depuis vingt-six ans, la supérieure n’a quitté cette maison qu'une seule fois par raison de santé et encore pour quelques semaines seulement. C'est elle qui a tout créé, tout organisé, qui a bâti la petite chapelle, vrai bijou d’architecture monacale, et qui a répandu dans beaucoup de familles européennes et indigènes les bienfaits d’une bonne et solide éducation. Dans l’école des blanches, j’ai vu deux petites filles allemandes du type teutonique le plus prononcé. Mais elles ne savaient pas un mot d’allemand, elles ne parlaient qu'anglais et samoën.


Le soleil est impitoyable, la chaleur indescriptible, et cependant nous voilà au milieu du jour en route pour Mulinuu. Des devoirs de cour nous y appellent. Mgr Lamaze, qui aura la bonté de nous servir d’interprète, les consuls d’Allemagne et d’Angleterre, veulent bien nous tenir compagnie.

La capitale du roi des Samoëns, située à un peu plus de 2 milles à l’est d’Apia, occupe une langue de terre entre deux sinuosités de la baie. C'est, à proprement parler, une forêt de cocotiers, mais je suppose qu'il y a aussi des maisons plus ou moins cachées dans le bosquet. Nous n’en avons entrevu que fort peu. Il y a cependant une sorte de place publique où l’on a dressé la potence, qui a un air monumental. A quelques pas de là se trouve une jolie cabane habitée par. le grand-juge du roi. Ce personnage et sa fille, qui sont catholiques, en sortaient pour baiser l’anneau de l’évêque, et, à l'ombre des bois de justice, nous engageâmes avec eux une conversation qui ne manquait pas d’intérêt, lorsque nous entendîmes, derrière nous, les pas précipités d’un homme essoufflé qui avait apparemment hâte de nous dépasser. On l’arrêta et nous fîmes route ensemble. Cet individu portait une chemise qui ne sortait pas des mains de la blanchisseuse et un pantalon de toile qui s’en