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éprouvèrent à plus d’une reprise combien il était facile d’éveiller sa fierté chatouilleuse. « Quand, plus tard, a dit en excellent style le lieutenant de vaisseau Maissin, une de ces espérances du corps de la marine si tristement fauchées avant l’heure, quand plus tard on étudiera avec attention ce qui s’est passé, quand on réfléchira que l’amiral français n’avait à sa disposition que quinze ou vingt navires de guerre, la plupart au-dessous du rang de frégates, et trois compagnies d’artilleurs contre un pays dont la surface est quatre fois celle de la France, qui a 9 millions d’habitans et dont la capitale est à cent lieues de la mer, alors peut-être on conviendra que cette expédition a été conduite avec quelque habileté, pour le plus grand honneur et le plus grand avantage de la France. » L’appréciation du lieutenant de vaisseau Maissin sera le jugement de l’histoire, — si toutefois l’histoire se souvient dans cent ans que la France a eu des démêlés avec le Mexique.

Parti de Brest le 1er septembre 1838, l’amiral Baudin est de retour à Brest le 15 août 1839 : « Notre affaire, écrit de nouveau son aide-de-camp, c’est le Mexique ; c’est l’expédition navale dont nous étions la tête. Qu’en a-t-on dit et qu’en dit-on encore ? Ce qu’on en dit aujourd’hui ? Mais rien du tout ! Le temps en est passé et d’autres questions plus présentes ont englouti celle-là. L’Orient est en feu ; l’empire ottoman se fend en deux : on n’a pas le temps de penser à la question mexicaine. » — « Ne vous fiez pas aux princes des hommes ! » nous enseigne l’Ecclésiaste : fiez-vous donc à la justice et à la clairvoyance des foules ! Les foules, pour admirer, ont besoin que le pavillon ne flotte pas seulement sous les quais ; elles exigent qu’il flotte bel et bien sur les murs de Lisbonne. L’audace de l’entreprise les touche peu ; ce qui les passionne, c’est le butcher’s bill (la carte du boucher). Voilà pourquoi l’entrée de vive force d’une escadre à voiles dans le Tage, — le plus beau fait d’armes de la marine moderne, je n’hésite pas à le proclamer, — n’a jamais été prisée en France à sa juste valeur. Je ne suis pas davantage certain que les mérites de la campagne de 1838 au Mexique, gâtés aux yeux du vulgaire par un traité qualifié follement de traité hâtif, aient été, dans les annales du jour, placés au rang qui leur convient.

Pour récompenser le vaillant amiral, le gouvernement du roi n’avait pas heureusement attendu le retour de la Néréide en France. Le grade de vice-amiral, conféré le 22 janvier 1839 au commandant en chef de l’expédition du Mexique, répondit à la première nouvelle de la capitulation, imposée, le 27 novembre 1838, au château de Saint-Jean-d’Ulloa. Cinq ans et demi, merveilleusement bien employés, il est vrai, ont suffi pour faire du capitaine de