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la Créole avaient tiré 7,771 boulets et 177 obus. Les quatre mortiers des deux bombardes ne tirèrent que 302 bombes : ces bombes écrasèrent les voûtes des magasins à poudre. Bien qu’on ait porté au compte des obusiers de la Créole une des explosions, il paraît douteux que ces obusiers eussent suffi pour produire les affreux dégâts dont le général Santa-Anna, introduit dans le fort, fut témoin. Tout le front de la forteresse qui fait face à la haute mer est bâti de madrépores : les boulets l’avaient en maint endroit fait voler en éclats, le feu des batteries continuait toujours : les explosions seules portèrent le découragement au sein de la garnison. Le conseil de guerre convoqué, sur l’invitation du général Santa-Anna, n’hésita point à déclarer à l’unanimité que la continuation de la défense était impossible. Ainsi que le constata le procès-verbal rédigé le 28 novembre à deux heures du matin, plusieurs pièces gisaient démontées et le fort ne possédait pas d’affûts de rechange ; les munitions, à peu près épuisées, n’auraient permis de prolonger le feu que pendant une ou deux heures au plus ; la majeure partie des artilleurs était tuée ou blessée. L’explosion de deux des magasins à poudre, la destruction totale d’une batterie haute et de presque toute la ligne des défenses extérieures, la mort du colonel du génie, la mise hors de combat de trois officiers supérieurs, de treize officiers subalternes et de 207 soldats, avaient notablement abattu l’esprit des troupes mexicaines : pour tout renfort, le général Rincon pouvait envoyer de Vera-Cruz 80 artilleurs : c’était à peine l’armement de dix pièces. Dans ces circonstances, il ne restait d’autre parti à prendre que de capituler en s’efforçant d’obtenir les conditions les plus honorables.

La perte des Mexicains était en proportion du feu violent qu’ils eurent à soutenir ; celle des assaillans fut si faible qu’elle a fait mettre en doute les dangers de l’entreprise. La conquête du Gibraltar des Indes fut obtenue au prix de quatre tués et de vingt-neuf blessés. Le combat du Renard, on doit s’en souvenir, coûta davantage. La Néréide comptait quinze hommes hors de combat, la Gloire cinq, l’Iphigénie treize. Le Cyclope, le Vulcain, la Créole n’eurent ni tués ni blessés. Est-ce donc sur de pareils calculs que vous prétendez juger les mérites d’une action de guerre ? Le mérite consiste à tenter ce que les autres ont déclaré impossible. L’opinion générale, dans la division même du Mexique, était que le fort de Saint-Jean-d’UIloa ne pouvait être emporté que par escalade et par surprise. L’amiral Baudin a prouvé le contraire et il l’a prouvé en ne craignant pas de hasarder ses bâtimens à un mouillage où leur existence dépendait d’un souffle de brise. « La prise de la forteresse de Saint-Jean-d’Ulloa par une division de frégates françaises