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C’était le vœu secret de tout un parti, du parti le plus puissant à cette heure. Bourbon d’Espagne ou Bourbon de France, peu lui importait, pourvu qu’on lui rendît l’état monarchique. » Si pareil dessein a jamais été agité dans les conseils de la couronne, je dois déclarer que les papiers les plus secrets-de l’amiral Baudin n’en ont gardé aucune trace. On ne voit qu’une chose dans ces documens qui m’ont été communiqués sans réserve : l’ardeur d’un jeune prince impatient de se distinguer et plus heureux dans cette tentative que l’héroïque enfant qui a donné son sang à l’Angleterre, ne pouvant pas le donner à la France.

« Le jour où Votre Excellence m’a confié le commandement des forces navales dans le golfe du Mexique, écrivait au vice-amiral de Rosamel, alors ministre de la marine, le contre-amiral Baudin, je lui ai annoncé que mon départ de Brest aurait lieu le 1er septembre. En effet, aujourd’hui, 1er septembre 1838, nous sommes sous voiles et déjà hors du goulet à neuf heures du matin. » Cette ponctualité est d’heureux augure : elle montre à la fois l’activité du chef et la complaisance des élémens, car les vents du nord-est sont d’un précieux secours pour qui prétend sortir à jour fixe du goulet de Brest. Le vaisseau le Suffren, il est vrai, quand l’amiral Roussin le montait et se savait attendu par le contre-amiral Hugon à l’embouchure du Tage, a pu franchir l’Iroise, malgré le vent contraire : ces tours de force ne se renouvellent pas tous les jours. Encore faut-il, pour qu’on les accomplisse, que la brise reste modérée ; de gros vents de sud-ouest seraient un obstacle invincible. Le capitaine Grasset, sur la frégate-école des gabiers la Résolue, a donné à ses jeunes apprentis une leçon dont ils se souviendront toute leur vie ; il a gagné le large en louvoyant pendant vingt-quatre heures entre les cailloux avec deux ris pris aux huniers. Je ne conseille pas aux plus hardis et aux plus habiles de l’imiter.

Le 9 septembre, la Néréide, accompagnée de la Créole, mouillait sur la rade de Cadix. Deux autres frégates, la Gloire et la Médée, y attendaient l’amiral Baudin, prêtes à se ranger sous son pavillon. Le 11 septembre, toute la division faisait route. La glorieuse campagne où vont se fonder tant de jeunes renommées commence : « Soyez préparé à la guerre, écrit l’amiral au prince de Joinville, et préparez-y votre équipage. Que tous vos discours, toutes vos pensées aient le combat pour but ; que chacun, à votre bord, se familiarise avec l’idée que de brillans succès doivent être le résultat de l’activité et de l’audace unies au bon ordre, qu’un coup de main hardi, mais sérieux et exécuté avec sang-froid, avec ténacité, peut terminer la querelle, au plus grand honneur de la France et aux applaudissemens des deux mondes. La circonstance est