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France. « Elle y rentrait, dit M. Forneron, avec 130,000 francs de rente, ses meubles, ses bijoux, 50,000 francs de rente pour son fils, et 250,000 francs en or qu’elle avait reçus incontinent après la mort du roi. » La révolution de 1688 lui ravit une partie de cette fortune, et, en supprimant les pensions de la duchesse de Portsmouth, Guillaume III se flatta sans doute qu’il accordait son puritanisme avec sa parcimonie. Louis XIV, plus généreux, la tira d’embarras, et de procès en procès, car il semble qu’elle en eut beaucoup, habituellement retirée dans sa terre d’Aubigny, abandonnée par son fils, qui mourut avant elle, ce dernier débris de la cour débauchée de Charles II, belle encore à soixante-dix ans, prolongea son existence jusque sous le règne de Louis XV et le ministère du cardinal Fleury.

Lorsque Louis XIV mourut, on vit son peuple, dit Voltaire,


Ivre de vin, de folie et de joie,
De cent couplets égayant le convoi,
Jusqu’au tombeau maudire encor son roi.


J’ai voulu relire, à ce propos, dans l’Histoire d’Angleterre de Macaulay, le récit de la mort de Charles II, et j’y vois « que l’on remarqua qu’il n’y eut pas une servante à Londres qui n’eût trouvé le moyen de se procurer quelque morceau de crêpe en l’honneur du roi Charles. » Les sentimens de l’un et l’autre peuple, à ce moment de son histoire, sont restés ceux de ses historiens nationaux. C’est avec une indulgence relative, encore aujourd’hui, que l’on juge en Angleterre le triste prince au nom de qui ne peuvent cependant, pour un Anglais, s’attacher que de tristes, d’humilians, de honteux souvenirs : celui de la pire immoralité que l’on ait vue sur le trône, celui d’une des pires blessures qu’ait reçues l’orgueil britannique « le jour où la flotte hollandaise remonta la Tamise et vint brûler les vaisseaux de guerre qui se trouvaient à Chatham, » celui des intérêts enfin de l’Angleterre vendus pour quelques millions à la France. Il a régné, et on l’a supporté vingt-cinq ans, et ses historiens, à côté de ses fautes, n’oublient guère de rappeler les quelques qualités qui l’ont fait supporter, de bien minces qualités, bien inutiles au bonheur des peuples. Mais nous, et de notre temps même, de notre temps surtout, nous traitons aussi mal ou plus mal qu’aucun Anglais n’a fait Charles II, le roi qui, s’il commit, aussi lui, plus d’une faute, fit cependant beaucoup plus qu’aucun de ses prédécesseurs pour la gloire du nom français, et grand dans la prospérité, le fut encore dans les revers. Justice historique, voilà bien de les coups ! Celui-ci explique peut-être beaucoup de choses dans la fortune diverse de deux grandes nations.


F. BRUNETIERE.