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vantait d’avoir annoncés et préparés, protestant contre le silence qui se fait autour de son nom, ne pouvant comprendre que la révolution n’eût pas besoin de Beaumarchais pour conduire ses affaires, qu’avant de monter les pièces à grand spectacle dont elle régalait les peuples et les rois, elle ne priât pas l’auteur de Tarare de lui en dire son avis et d’en régler l’appareil. Un instant, il mit son espérance dans Bonaparte, il composa en son honneur des vers qui furent mal accueillis. S’il avait vécu assez longtemps pour le voir premier consul, il aurait tout fait pour s’insinuer dans ses bonnes grâces, sans se douter que celui qui s’appliquait à restaurer le respect en France ne pouvait éprouver qu’une glaciale antipathie pour l’homme en qui le respect avait trouvé l’un de ses plus dangereux ennemis.

Beaumarchais nous apparaît dans les dernières années de sa vie, entre 1790 et 1799, comme un vieux radoteur, comme un bonhomme un peu ridicule, qui depuis longtemps est au bout de son rôle et qui, s’obstinant ii remonter sur les planches, se fait reconduire dans la coulisse à grands coups de sifflet. Quel contraste avec ses belles années, avec l’auteur des Mémoires et du Barbier, avec le Beaumarchais vif, ardent, impétueux, dont Paris pouvait dire : « D’en parler seulement, il exhale un tel feu qu’il m’a presque enfiévré de sa passion, moi qui n’y ai que voir ! » M. Bettelheim, qui a raconté sa vie mieux que personne, est trop succinct dans le jugement qu’il en porte ; il y a, dans les écrivains d’un très grand talent, quelque chose de complexe qui échappe aux définitions sommaires. Le XVIIIe siècle, si riche en aventuriers, n’en a produit aucun qu’on puisse comparer à Beaumarchais. Il était le plus envahissant, le plus prenant des hommes dans tous les sens du mot ; il possédait à un degré peu commun le don de s’imposer, Marie-Thérèse faillit succomber à sa séduction. Kaunitz le traitait de drôle ; mais il appartenait à la dangereuse famille des drôles sympathiques, qui exercent un charme secret et fatal auquel le mépris même ne résiste pas. Son ami le plus fidèle, le puritain Gudin, disait de lui : « Il fut aimé avec passion de ses maîtresses et de ses trois femmes. » Il avait le grand naturel, la flamme du regard et les emportemens de la parole, une force de courage et d’espérance qui domptait le malheur, la contagion du rire, une abondante gaîté, qu’il répandit à pleines mains dans ses écrits et qui, aujourd’hui encore, plaide sa cause auprès de nous.

Il n’a jamais été méchant que dans les cas de défensive désespérée ; d’habitude il était serviable, officieux, il aimait à obliger ses cliens, il a rarement trompé leur confiance. Il a été bon pour les siens, il a connu les affections de famille ; son bonheur tenait table ouverte et invitait les passans à ses festins. Il a toujours pensé que la perfection de la nature humaine était représentée par le financier sensible,