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Dans l’histoire de l’opéra-comique, Boïeldieu est le dernier des anciens et le premier des modernes. Ma Tante Aurore, le Nouveau Seigneur rappellent encore Grétry ; mais la Dame blanche ne rappelle plus rien du passé ; elle annonce l’avenir. Des premières œuvres de Boïeldieu, les meilleures à notre gré sont : Ma Tante Aurore et le Nouveau Seigneur. Ma Tante Aurore, qui date de 1803, vaut mieux que les Voitures versées. Ces deux dernières œuvres sont les plus franchement comiques de Boïeldieu ; mais le comique de Ma Tante Aurore est plus fin, la musique plus spirituelle. Citons au début, pour l’excellence de sa facture, le quatuor de la délibération. Citons encore les couplets si plaisamment grondeurs de la tante, et surtout le duo de la soubrette et du valet : De toi, Frontin, je me défie.

Le Nouveau Seigneur est une paysannerie charmante, supérieure à l’Épreuve, de Grétry, et à la Fête du village voisin, de Boïeldieu lui-même. Depuis le premier quatuor : Ainsi qu’Alexandre le Grand, jusqu’au duo : Si vous restez à cette place, cette musique pétille d’esprit. Ce petit acte a le montant, le bouquet d’un doigt de vieux bourgogne, de ce chambertin qu’on y chante dans un duo resté fameux.

Jean de Paris, en 1812, obtint un immense succès, non seulement en France, mais à l’étranger. Déjà un Allemand avait qualifié la musique de Ma Tante Aurore, allerliebste, délicieuse. En 1817, Weber, alors directeur de musique à Dresde, faisait représenter Jean de Paris et écrivait à ce propos : « En opposition avec le sentiment passionné qui est propre au génie de l’Allemagne et de l’Italie, l’opéra français représente la raison et l’esprit, principalement sous le rapport de la musique… Aux plus grands maîtres de l’art il appartient de tirer les élémens de leurs œuvres de l’esprit même des nations, de les assembler, de les fondre, et de les imposer au reste du monde. Dans le petit nombre de ceux-ci, Boïeldieu est presque en droit de revendiquer le premier rang parmi les compositeurs qui vivent actuellement en France, bien que l’opinion publique place Isouard (Nicolo) à ses côtés. Tous deux possèdent assurément un admirable talent, mais ce qui place Boïeldieu bien au-dessus de tous ses émules, c’est sa mélodie coulante et bien menée, le plan des morceaux séparés et le plan général, l’instrumentation excellente et soignée, toutes qualités qui désignent un maître et donnent droit de vie éternelle et de classicité à son œuvre dans le royaume de l’art[1]. »

Une fois au moins, Boïeldieu fait lui-même penser à Weber, qui le jugeait si bien ; non pas le Boïeldieu de Jean de Paris, qui ne

  1. Cité par M. Arthur Pougin dans son volume : Boïeldieu.