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Tandis que les clairons sonnaient par toute l’Europe, la musique s’égayait avec un conte de Perrault et un conte de La. Fontaine. Comme dit le brave homme de Carmosine, il n’y avait point là de trompettes.

Il y en a cependant, mais si peu ! Dans Cendrillon, le jeune prince a son petit accès de bravoure. Il court au tournoi comme un vrai paladin ; il en revient vainqueur avec une phrase martiale :


Vous seule avez guidé mon bras !
Vous m’avez conduit à la gloire
Aussi je dois à vos appas
Le prix de ma victoire


Il n’a pas dû frapper bien fort, le gentil chevalier de vingt ans, ce gamin vêtu de satin bleu ; il n’y a pas une goutte de sang sur les rubans de son épée. Il faudrait faire jouer Cendrillon par des enfans, par des marionnettes vivantes. Ce pimpant opéra-comique est une miniature animée. La première scène est une des meilleures : les deux méchantes sœurs, la Clorinde et la Tisbé, s’ajustent pour le bal : Arrangeons ces fleurs, ces dentelles ! Et tandis qu’elles bavardent, Cendrillon fredonne, au coin de son feu, le Compère Guilleri. Elle est pleine d’entrain et de bonne humeur, cette vieille chanson ; rien ne l’arrête ; elle court à travers le caquet des deux péronelles. La musique a presque la saveur du dialogue de Perrault : « Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. — Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamans, qui n’est pas des plus indifférentes. »

Dans son ensemble, l’opéra-comique ne vaut pas le conte. La musique a vieilli plus que la poésie. Nous disons poésie à dessein, car ces contes sont de petits poèmes. Nicolo n’a pas compris assez leur grâce un peu mystérieuse. Il ne nous a pas montré près de Cendrillon cette marraine, qui était fée. Il l’a remplacée par le sentencieux Alidor. La bonne marraine ne raisonnait pas comme ce magicien, qui sent un peu le magister. Elle envoyait simplement sa filleule lui quérir une citrouille, des souris blanches et des lézards, dont elle faisait un carrosse, des chevaux pommelés et des laquais. Nicolo, et surtout son collaborateur Etienne, ont alourdi le conte. Ce n’est pas tout : un reste de sentimentalisme du XVIIIe siècle en a un peu affadi la naïveté. Si jolie, si touchante même que soit la romance du prince : O sexe aimable, mais trompeur ! elle n’est pas sans quelque mièvrerie. Il y a dans le récit de Perrault plus de simplicité.