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même sous l’empire, le XVIIIe siècle n’était pas fini. — Si Dalayrac perd sa mère, c’est le meilleur des fils pleurant celle qui lui a donné la naissance ; s’il épouse Mlle Sallard, jeune personne d’une âme sensible et d’une imagination vive, le jour de l’hymen voit former une alliance entre le génie et les grâces. Tout le reste est à l’avenant. En 1807 (la date est à noter), la famille et les amis de Dalayrac célébrèrent son anniversaire avec « une sensibilité vraie. » En rentrant chez lui, l’excellent homme trouva sa demeure ornée par les soins de l’amitié. Les dames étaient parées, et l’orchestre de l’Opéra-Comique jouait sous des feuillages. Mme Dalayrac elle-même s’avança et remit à son mari une tabatière. Dans ce meuble, qu’il désirait depuis longtemps, Dalayrac trouva le quatrain suivant :


Ce présent qu’autrefois, par un abus funeste,
On faisait à l’intrigue, à la faveur, au rang,
De la part d’Apollon, seul juge du talent.
L’amitié vient l’offrir au mérite modeste.


Ce n’est pas tout. La belle Mme Belmont accorda sa harpe et chanta :


Pour bien fêter l’amant de Polymnie,
Par des airs purs et par les plus doux sons.
Pour l’entourer d’une tendre harmonie.
Pour le chanter, empruntons ses chansons.
……..
A le chanter c’est en vain qu’on s’applique,
Unissons-nous à sa tendre moitié :
Nos cœurs d’accord, mieux que notre musique.
Lui donneront un concert d’amitié.


On passa dans la salle à manger, et l’on se mit à table autour d’une pièce montée qui représentait le Parnasse.

Deux ans après cette solennité, l’aimable musicien mourut, le 27 novembre 1809, et son agonie, mélodieuse encore, ne se trahit que par des chants.

Pas plus que l’œuvre de Dalayrac, l’œuvre de Nicolo ne s’explique par le milieu contemporain. La peinture, la sculpture, et même les arts secondaires, l’art du mobilier, par exemple, portent bien plus que la musique le cachet du temps. Telle pendule, surchargée de sphinx et de lotus, témoignera toujours de l’expédition d’Egypte. En musique, au contraire, le style empire se trahit rarement, sauf peut-être chez Méhul, auquel on pourrait reprocher un peu de raideur et d’emphase. Mais quel chercheur de l’avenir, retrouvant, après des siècles d’oubli et d’ignorance, Joconde et Cendrillon, reporterait ces œuvres mignonnes à des jours d’épopée ?