Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adressez-vous à qui vous voudrez, pourvu que ce ne soit pas un Français natif, et il vous répondra comme moi[1]. »

Nous l’avons vu, il y avait même des Français de cet avis. Pourtant, en 1778, avaient déjà paru le Tableau parlant, et Zémire et Azor, et l’Amant jaloux, sans parler du Déserteur. Comment ces gracieux essais, ces pures mélodies trouvaient-elles aussi sévère le maître par excellence de la grâce et de la pureté ? Entre l’inspiration de notre école française et celle de Mozart, il y a cependant affinité : rencontre fortuite sans doute, inconsciente peut-être, mais parfois incontestable. On la retrouverait notamment chez Nicolo, dans l’air célèbre de Jeannot et Colin : Ah ! pour moi quelle peine extrême ! La coupe du morceau, la beauté de la forme, tout est digne du maître de Salzbourg, et le rapprochement n’a rien dont son ombre puisse s’offenser.

Après Richard Cœur de lion, Grétry ne donna plus que des œuvres de moindre valeur. Il se reposait à l’Ermitage sous les arbres qui avaient abrité Jean-Jacques Rousseau. Son chef-d’œuvre était proscrit par la Terreur. Les hommes de sang se faisaient jouer des pastorales. Comment justifier ici la théorie des milieux, et concilier les contraires qui se heurtent dans l’histoire de ce temps ? Le musicien à la mode était le tendre Dalayrac. Le Moniteur, après le compte rendu de la guillotine, annonçait pour le soir Nina, ou la Folle par amour. A l’Opéra-Comique, les tricoteuses étaient en pleurs ; elles chantaient le matin la Carmagnole, et le soir la romance. « Les conventionnels, a dit Chateaubriand, se piquaient d’être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfans ; ils leur servaient de nourrices ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux pour leur montrer le dada des charrettes qui conduisaient les victimes au supplice. » C’est vrai : tout était bonté, sympathie. Le doux Saint-Just, le vertueux Robespierre, des philanthropes féroces, voilà les représentans les plus complets de l’époque.

En 1793, l’Opéra-Comique donnait Roméo et Juliette, de Dalayrac, mais avec le sous-titre charmant de : Tout pour l’amour. C’était bien la devise du temps ! La musique était plus tendre que jamais, aimable jusqu’à la fadeur. Elle chantait le bien-aimé et sa languissante amie, la romance de Nina, ce petit opéra-comique dont le succès égala presque celui du Mariage de figaro ! Nina était née sensible et aimante ; mais son père avait contrarié son amour. Un odieux rival a tué son fiancé, et depuis la pauvre fille est folle, « plus intéressante et plus respectable que jamais,

  1. Voir Mozart, Vie d’un artiste chrétien au XVIIIe siècle, traduite par M. J. Goschler.