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Manon. » Trop de rubans, trop de batiste et de linon ; sa mousse Une à lui n’est pas sainte Mousseline. Ses paysannes ont l’œil humide et leurs lèvres attendent toujours. Ce n’est pas seulement pour avoir frais qu’elles entr’ouvrent leur fichu, et quand elles dorment, ce n’est que d’un œil.


La simple nature
Forme ici les mœurs ;
Jamais l’imposture
N’entra dans les cœurs.


On mettait alors aux tableaux des inscriptions de ce goût ; mais on avait beau parler de la nature, peu d’artistes la comprenaient. Monsigny du moins l’a comprise et suivie. Il a donné à ses paysans des manières simples et naïves, bien éloignées de l’afféterie de la Bonne Mère de famille ou de la Jeune Accouchée. Banni de la peinture qui s’éteignait dans la mièvrerie, de la poésie qui ne fredonnait plus que des couplets galans, le naturel se réfugiait dans la musique. Elle eut alors comme une fleur de jeunesse, et presque d’enfance. L’enfance de l’art ! dira-t-on avec dédain. Eh ! oui, gardons le mot. Elle eut le charme de l’enfance dans un monde où rien ne l’avait plus. Quand partout la grâce était apprêtée, et l’esprit méchant ou libertin, elle fut gracieuse sans apprêt et spirituelle sans amertume. Elle fut enfant dans un siècle sénile ; par un destin singulier, elle naquit lorsque tout mourait autour d’elle, et, dans l’universel déclin, elle monta seule à l’horizon, d’où les étoiles tombaient en foule.

Le sujet du Déserteur est connu. Toute la pièce est fondée sur une plaisanterie d’un goût douteux, faite au pauvre Alexis par la famille de sa fiancée. Cette farce déplorable entraîne la désertion du jeune homme ; elle entraînerait sa mort, si Louise, profitant d’une revue passée par le roi, n’obtenait la grâce de son ami. La pièce du bon Sedaine est touchante. Sur la liste des personnages figurent Louise, comme amante d’Alexis, et le père de Louise, et la tante tout simplement, et le grand cousin Bertrand, armé d’une baguette, « dont il niaise. » Le Déserteur est le type charmant de l’opéra-comique. Rien n’y est forcé, ni l’émotion, ni la gaîté ; l’une y est pénétrante, l’autre communicative. Au point de vue technique, il y a encore à redire ; au point de vue de l’inspiration, on ne peut qu’admirer, s’étonner même. Quelle expansion dans l’air d’entrée du ténor : Je vais la voir ! Et dans le petit duo avec la paysanne, quelle grâce de contour, quelle aisance de modulations ! Le second et le troisième acte seraient à citer tout entiers. Nous n’en sommes plus aux Scapin ni aux Zerbine. Adieu Marton ! adieu Lisette ! pourra chanter la France dans l’Épreuve villageoise. Adieu