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et que l'entente qu'ils concerteraient aurait pour le maintien de la paix les bases les plus solides. Leur programme, comportant à la fois le règlement de la question allemande et de la question d'Orient, répondrait, disaient-ils, aux vœux de l'Europe et serait le digne couronnement de l'exposition universelle. Peu de temps avant son départ de Pétersbourg, le vice-chancelier avait dit à notre ambassadeur : « Que ne suis-je à Constantinople avec M. de Moustier! la question d'Orient serait vite réglée. » Il comptait que le propos irait à son adresse et qu'il trouverait notre ministre des affaires étrangères tout disposé à entrer dans ses vues. Mais il s'aperçut bien vite, en causant avec l'empereur et en conférant avec M. de Moustier, qu'on ne prêtait qu'une oreille distraite à ses insinuations au sujet de la révision du traité de Paris, qu'il avait la manie d'appeler sa robe de Nessus. Qu'avait-il à nous offrir? Ce n'était pas une alliance qui nous eût permis de réagir contre les événemens de 1866. Son intimité avec la cour de Berlin, dont il se targuait à tout propos, pouvait nous être utile dans une certaine mesure; elle l'autorisait à faire entendre les conseils de la modération ; mais elle nous prouvait aussi que la Russie, pour satisfaire d'autres ambitions, avait fait son deuil de l'Allemagne et ne tenterait aucun effort sérieux pour la défendre avec nous contre son absorption par la Prusse. Et cependant, le ministre russe avait emmené à Paris, avec ostentation, toute une chancellerie diplomatique; elle n'était pas appelée, à coup sûr, à libeller des protocoles et des traités, mais peut-être devait-elle servir à la fois à nous compromettre, à stimuler la Prusse, à éveiller les défiances de l'Angleterre et de l'Autriche, et à donner à réfléchir à la Turquie.

Toutefois, pour donner au vice-chancelier une marque de sa condescendance et sauvegarder son amour-propre, M. de Moustier consentit à résumer dans un pro memoria les idées qu'ils avaient échangées, tant sur l'Allemagne que sur l'Orient. C'était un simple procès-verbal qui faisait honneur à la pureté et à l'élévation des sentimens dont s'inspiraient les deux ministres; il révélait d'une façon édifiante que la diplomatie sait, dans son langage, se plier à toutes les nécessités et dissimuler de noirs desseins sous de vertueuses protestations. Le prince n'hésitait pas à se porter garant des sentimens pacifiques de la cour de Prusse ; d'après lui, la France tenait dans ses mains la guerre et la paix; d'elle dépendait la marche des événemens. « Si nous avions réellement le pouvoir de régler l'avenir, disait M. de Moustier, nous ne l'emploierions certainement que pour affermir la tranquillité générale. Mais elle dépend plus encore de la Prusse que de nous. Nous ne lui contestons pas le droit de s'organiser et de se consolider dans les délimitations