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éclats. De temps à autre, l’autorité intervenait ; le théâtre était fermé et, quand il rouvrait par tolérance, il n’y avait si mauvaise querelle qu’on ne lui cherchât. D’ailleurs, il se défendait bien, le brave petit théâtre, et gaîment. On pouvait réduire ou supprimer son orchestre, les chansons s’en passaient et ne s’entendaient que mieux. Les couplets étaient-ils interdits, on les écrivait en gros caractères sur un cartouche, au bout d’une perche, et tout le public de les entonner en chœur. On n’empêche pas les Français de rire, et l’on riait à la foire, avec ou sans permission.

En 1752, arriva à Paris une compagnie de chanteurs italiens. Ils nous apportaient la guerre. On sait, par les écrits du temps, le succès des partitions italiennes, surtout de la Servit padrona, de Pergolèse. Tout Paris s’arma pour la querelle des Français et des Italiens. Grimm et Rousseau combattaient au premier rang des ultramontains. La Lettre sur la musique française n’est qu’un panégyrique enthousiaste de l’art italien.

Il serait curieux, à ce propos, si nous en avions ici le loisir, d’étudier Jean-Jacques comme critique musical. On retrouverait dans sa Lettre des théories encore discutées parmi nous, des questions encore à l’ordre du jour : question de la mélodie et de l’harmonie, question des rapports du chant et de l’orchestre, et cette autre question, toute contemporaine, toute wagnérienne même, de la traduction musicale des paroles. Mais le fond de l’ouvrage, c’est la comparaison de la musique française et de la musique italienne, ou plutôt l’immolation de l’une à l’autre. Si l’on révisait aujourd’hui le procès, l’arrêt serait réformé sans doute ; la critique ferait volte-face. Mais l’opinion et, selon nous, l’erreur de Rousseau, peut être excusée. La musique italienne de son temps n’était pas celle que l’on dédaigne maintenant, et la musique française n’était pas encore ou était à peine celle que nous aimons toujours. Le siècle dernier, le siècle des maîtres sérieux et puissans, des Marcello, des Pergolèse, des Corelli, n’annonçait pas à l’Italie le siècle plus léger, trop léger, qui l’a suivi. Il y a eu dans le génie de nos voisins comme une transposition dont il faut tenir compte. Rousseau pouvait encore louer, dans la musique italienne, les modulations savantes, l’harmonie simple et pure, la perfection de la mélodie. Mais pouvait-il nous sacrifier sans injustice ? Pouvait-il, de bonne foi, reprocher à la musique française ses complications et sa recherche ? Pouvait-il refuser toute émotion à nos chants ? Ouvrez le recueil des Échos de France. Relisez une page de Lulli : Le héros que j’attends ne reviendra-t-il pas ? ou cette plainte farouche : Bois épais, redouble ton ombre, et vous croirez au passé de la musique française, même avant Rousseau. Lui ne croyait ni à son passé, ni à son avenir : « Les Français, dit-il en concluant, n’ont point de