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que j’ai tâché d’asseoir en ce point mon jugement. A présent, si j’avais à le libeller, j’imiterais la Convention. J’accorderais volontiers à Dubois-Crancé que, a dans sa mission près l’armée des Alpes, et notamment à Lyon, il fit son devoir[1]. » Mais je ne lui accorderais que cela, je n’irais pas au-delà de ce certificat banal. Je lui refuserais, comme elle, la déclaration « d’avoir bien mérité de la patrie. » Tant d’autres en sont plus dignes !


IV

Du 5 août 1789 au 14 septembre 1799, en dix ans, on ne compte pas moins de dix-huit ministres de la guerre, dont pas un n’a vraiment marqué : Dubois-Crancé fait le dix-neuvième et le dernier de la série, et c’est un de ceux qui occupèrent le moins longtemps leur poste. Il n’y passa que quarante-sept jours, et s’il y brilla, c’est d’un éclat si fugitif et si discret que le souvenir même s’en était complètement perdu.

« Il était, a dit de lui Napoléon, incapable de remplir les fonctions de ministre, » et le général Gourgaud, qui a noté ce jugement en passant, dans ses Mémoires, ajoute que, lorsque Berthier lui succéda, il fut obligé, pour obtenir les états de situation des troupes et leurs emplacemens, d’envoyer aussitôt une douzaine d’officiers dans les divisions militaires et aux armées. Dubois-Crancé ne put lui fournir aucun renseignement, sauf pour l’artillerie. Tous les autres services étaient dans un désordre et dans une confusion complètes.

De ce jugement de Bonaparte et de l’anecdote qui le confirme M. le colonel Yung ne tient naturellement aucun compte, et c’est avec une imperturbable assurance qu’il affirme que, durant son court passage aux affaires, « Dubois-Crancé sut se montrer ce qu’il était : le premier organisateur militaire de l’Europe. »

En quoi, et comment ? A quelle grande réforme, à quelle œuvre considérable ce nouveau Louvois a-t-il attaché son nom ? Par quelle merveille d’activité, par quel travail surhumain a-t-il pu se placer, en moins de deux mois, au rang des Carnot et des Gouvion Saint-Cyr ? En cherchant bien, M. le colonel Yung a trouvé jusqu’à trois circulaires ou rapports relatifs à la réorganisation des bureaux du ministère de la guerre, à la restauration de l’esprit public, à la situation et aux mouvemens éventuels des armées durant l’automne de 1799 et l’hiver de 1800. En vérité, c’est un peu mince, et l’on est en droit de se demander si le biographe de Dubois-Crancé n’abuse pas ici de la spécialité qu’il s’est faite de prendre,

  1. Séance du 2 brumaire an III.