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la guillotine, ce n’est pas avec des obus et même des roches à feu qu’on les amène à composition. Pour les vaincre, il faut le corps à corps. Or, à tout prix, Dubois-Crancé voulait l’éviter. Au début, il avait compté sur l’effet du bombardement ; à la fin, il escompta la famine ; jamais, à aucun moment, il n’eut confiance et ne voulut essayer d’une attaque générale de vive force[1], se bornant à enlever les uns après les autres les ouvrages et les postes avancés de l’ennemi, comme à Oullins ; encore ne s’y décida-t-il que dans la seconde quinzaine de septembre. A présent doit-on, comme on l’a prétendu, comme il l’a dit lui-même, en conclure que les moyens lui faisaient défaut ? Comptons un peu : dès la fin d’août, la Convention avait mis à sa disposition cent bouches à feu et l’avait renforcé de six compagnies d’artillerie, de dix bataillons de vieilles troupes et de deux régimens de cavalerie, qui lui permirent de former son corps de siège en quatre divisions chargées chacune d’une attaque différente. Un peu plus tard, une partie de la garnison de Valenciennes, disponible par suite de la capitulation de cette ville, était venue le rejoindre au nombre de 1,800 hommes. Bref, sans compter les réquisitionnaires qui lui arrivaient tous les jours, il pouvait disposer de 35,000 hommes, dont 8,000 environ de troupes réglées et 22,000 de réquisition[2].

Ces réquisitionnaires n’étaient pas tous, à dire vrai, de première qualité, et certes il y aurait beaucoup à dire sur les fameux Auvergnats de Couthon. M. Louis Blanc, qui a tracé de leur enthousiasme et de leur marche à travers les montagnes du Puy-de-Dôme un tableau plein de pittoresque et de mouvement, leur fait jouer, dans le dénoûment du drame lyonnais, un rôle important. Quand, de chacun de leurs sommets, à la voix de leur bien-aimé cul-de-jatte, ils dévalèrent comme une avalanche, armés de faux, de piques et de fourches, Lyon, dit-il, « sentit comme le froid de la mort, » La vérité, c’est que la plupart de ces rochers, comme les appelait emphatiquement Couthon dans son rapport, ne valaient pas

  1. On pourrait faire ici plus d’un rapprochement curieux entre le siège de Lyon par Dubois-Crancé, en 1793, et le siège de Paris par M. Thiers, en 1871. Dans l’un comme dans l’autre, c’est le système de temporisation et d’atermoiement qui domine ; ce sont les mêmes hésitations et la même répugnance pour toute attaque de vive force. Il n’est pas jusqu’aux tentatives de conciliation si justement reprochées à Dubois-Crancé dont on ne retrouve l’illusion, à quatre-vingts ans de distance, chez M. Thiers. Jusqu’au bout, Dubois-Crancé crut qu’il entrerait dans Lyon par la famine ; jusqu’à la fin, M. Thiers fut en pourparlers secrets pour la livraison d’une porte qui ne devait jamais s’ouvrir. (Voir sur ce dernier point les Convulsions de Paris, par M. Maxime Du Camp.)
  2. . Ce sont les chiffres mêmes de Dubois-Crancé dans son compte-rendu. M. Yung les réduit à trente mille. De quel droit ?