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occupaient le fort du Pont-Saint-Esprit, barrant ainsi la route du Rhône et se préparant à donner la main aux rebelles de Lyon.

Cependant l’armée des Alpes, qui avait toujours été sacrifiée, ne comptait que quelques bataillons de vieilles troupes et quelques milliers de volontaires misérablement vêtus et dans son principal arsenal, à Grenoble, on n’eût pas réuni quinze cents paires de chaussures et quinze cents fusils. Ajoutez que le brave Kellermann, qui les commandait, était l’homme le moins fait pour dominer une situation aussi compliquée et qu’il venait d’être appelé par le comité de Salut public, à Paris, pour rendre compte de sa conduite.

La tâche qui s’imposait aux commissaires de la Convention était donc, on le voit, singulièrement ardue. Dans les premiers jours de juin, l’insurrection s’étant ouvertement déclarée dans Lyon, ce fut bien pire encore. Laisser cette grande place d’armes aux mains des rebelles, c’était leur livrer trois armées et vingt départemens, couper la France en deux et donner au mouvement fédéraliste une force énorme. La Convention malheureusement ne vit pas cela du premier coup, et quand il eût fallu frapper, sans un jour de retard, elle perdit à négocier avec les chefs de l’insurrection lyonnaise près d’un mois et demi, que ceux-ci très habilement employèrent à s’organiser et à se fortifier. C’est le 29 mai que le mouvement avait éclaté par le renversement de la municipalité constituée et l’arrestation des représentans ; c’est le 12 juillet seulement qu’est pris le décret déclarant « traîtres à la patrie les administrateurs, officiers municipaux et fonctionnaires coupables d’avoir convoqué ou souffert le congrès départemental » et portant l’envoi à Lyon de forces suffisantes « pour faire respecter la souveraineté du peuple. » Dubois-Crancé, rendons-lui cette justice, avait mieux jugé la situation : à la première nouvelle du mouvement, il avait requis Kellermann de marcher sur Lyon avec dix bataillons d’infanterie et deux escadrons de cavalerie et pris sur lui de suspendre la marche de 4,000 hommes destinés à Toulon.

Il écrivait en même temps au comité de Salut public et à la Convention pour les presser d’agir avec vigueur. Au comité : « Le sang des patriotes a coulé, la représentation nationale a été violée et la contre-révolution est faite à Lyon au nom de la république… » Au président de la Convention… : « Nous avons une inquiétude bien plus grande, c’est que l’armée, aux prises avec les Piémontais, se trouve entre deux feux et se voie privée de tout moyen de subsistance ainsi que les départemens placés entre le Rhône et les Alpes. Prenez-y garde, au nom de la patrie… Il y a des coquins partout