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nationale et même dans son comité militaire, une grande indécision, des tiraillemens et finalement une discussion qui aboutit, le 16 décembre 1789, au maintien du régime en vigueur[1]. Dans ce mémorable débat, Dubois-Crancé, dès le début, s’était trouvé de la minorité. Il avait sur l’organisation de l’armée des idées très arrêtées et dont, il faut le dire à sa louange, il ne se départit jamais. Autant il était vacillant et divers en politique, autant, sur ce terrain, il était ferme et résolu. « Une conscription vraiment nationale » allant « de la seconde tête de l’empire au dernier citoyen actif, » une armée composée de 150,000 hommes de troupes réglées, en première ligne, de 150,000 hommes de milices provinciales, en seconde, et d’une réserve de 1,200,000 citoyens armés « prêts à défendre leurs foyers et leurs libertés envers et contre tous, » plus de tirage au sort, plus d’enrôlemens volontaires à prix d’argent, plus de remplacemens, en un mot le service militaire obligatoire et universel, telles étaient les grandes lignes du système développé par Dubois-Crancé au nom de la minorité du comité militaire, et qu’appuya le colonel d’état-major Menou.

Quelle part revenait à ce dernier dans l’œuvre commune ? Quelle était, proprement, celle de Dubois ? et dans quelle mesure doit-il être considéré comme le père du système ? Sur tous ces points, l’auteur de l’Armée et la Révolution n’insiste pas. Ils eussent pourtant mérité, le dernier surtout, de fixer l’attention d’un biographe consciencieux. Ce serait une erreur, en effet, de représenter Dubois-Crancé comme l’inventeur du service obligatoire. Bien avant lui, le maréchal de Saxe, dans ses Rêveries, et Servan, dans son Soldat citoyen, plus récemment Des Pommelles dans son Mémoire sur le recrutement de l’armée auxiliaire, s’étaient prononcés pour une organisation à peu près semblable, et l’exemple des grenadiers royaux était depuis longtemps invoqué par de très bons esprits, comme un argument décisif en faveur des armées nationales. Quoi qu’il en soit et ces réserves faites, on ne saurait contester à Dubois-Crancé le mérite d’être entré seul, ou peu s’en faut, en lutte avec la grande majorité de l’assemblée constituante et de son comité, sur une question qui intéressait à un si haut degré la grandeur et la sécurité de la France. Qu’il ait eu, dès cette époque, le pressentiment des dangers que courait la révolution à braver l’Europe féodale et monarchique, sans s’être au préalable armée jusqu’aux dents, il serait excessif de le prétendre. Rien, dans son discours, n’autorise cette supposition : et c’est bien plutôt contre les périls intérieurs, contre ceux qui pourraient menacer la liberté, comme au là juillet, que contre l’étranger qu’il semble dirigé. Grande

  1. Les milices ne furent supprimées qu’un peu plus tard, le 4 mars 1791.