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adolescent, presque un enfant, laissé par son capitaine, que le télégraphe venait d’appeler brusquement à Paris, en possession d’un commandement qui semblait aussi bien au-dessus de son âge qu’au-dessus de son grade. Charles Baudin n’était pas d’humeur à rester en arrière d’Armand de Mackau. Le combat du Renard contre le Swallow fut la réplique à la prise de l’Alacrity.

« Dans les premiers jours de juin 1812, nous raconte l’auteur des précieux souvenirs où revit toute une marine depuis près d’un demi-siècle disparue, j’escortais un convoi de trente-trois voiles destiné pour Marseille. J’étais parvenu à la hauteur des îles de Lérins, ayant été sans cesse harcelé, depuis ma sortie de Gênes, par une division composée du vaisseau l’America de soixante-quatorze, de la frégate le Curaçao de quarante-quatre et du brick, de vingt le Swallow. J’avais pour me seconder la goélette le Goéland, de six bouches à feu, commandée par un lieutenant de vaisseau, M. de Saint-Belin, émigré rentré en France depuis quelques années. Nous avions appareillé des îles de Lérins au commencement de la nuit avec notre convoi : la division anglaise, dont le Swallow formait l’avant-garde, nous poursuivait. Je conçus le projet de couper ce brick du reste de sa division et de l’enlever dans l’obscurité. J’envoyai chercher Saint-Belin et je lui donnai mes instructions. Le calme qui survint empêcha l’exécution de mon projet. Quand le jour se fit, la division ennemie était bien ralliée. Je ne m’occupai plus que de faire filer mon convoi vers Saint-Tropez : à midi, je l’avais mis en sûreté. En ce moment, la brise fraîchit du large. Le brick ennemi s’était avancé à une certaine distance de ses deux conserves ; je voulus encore une fois tenter de l’enlever avant qu’il pût être secouru et je me portai à sa rencontre. Virant de bord vent devant, je lui passai à poupe, à portée de pistolet : je me trouvai ainsi au vent à lui sur l’autre bord. Si j’avais été seul, je n’aurais pas hésité à l’aborder, mais je ne voulais pas, mon devoir étant d’assurer avant tout le succès, négliger l’assistance du Goéland, qui faisait force de voiles pour venir à mon aide. Par malheur, la barre de gouvernail du Goéland venait d’être coupée par un boulet. Pendant qu’on mettait en place la barre de rechange, j’échangeais avec le Swallow un feu très vif. Je n’avais que deux officiers : l’un d’eux, l’enseigne de vaisseau Charton, fut blessé à mort ; moi-même, je reçus à l’épaule droite un biscaïen qui m’y fit une blessure très douloureuse. La commotion fut telle dans toute la poitrine, que le sang me vint à flots à la bouche. Je continuai cependant de commander la manœuvre. J’allais donner l’abordage, sans attendre le Goéland, lorsque le Swallow, qui était sous le vent à moi, laissa arriver tout plat vent arrière, en me présentant la poupe. Avant que je