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marine, venait lui annoncer que l’empereur le nommait chevalier de la Légion d’honneur. Nous ne savons plus ce que vaut la première décoration. La croix d’honneur était en 1809 une distinction plus flatteuse que tous les grades du monde : elle vous introduisait dans la légion des braves, et à quelle époque ! à une époque où être héroïque s’appelait simplement « faire son devoir. »


IV

Passons rapidement sur ce nouveau séjour à Paris : l’ardeur guerrière de Charles Baudin l’abrégera d’ailleurs autant que possible. Le 7 août 1809 s’ouvre pour notre héros une période nouvelle, une période qui va l’initier à d’autres devoirs que ceux d’officier de quart et de capitaine de prise. Le brick le Renard est en construction à Gènes : Baudin reçoit l’ordre d’aller en hâter et en surveiller l’armement. Les enseignes de vaisseau sous le premier empire commandaient donc quelquefois des bricks ? Le beau temps ! direz-vous : ne nous plaignons pas trop ; ce beau temps ne saurait tarder à revenir. Nos enseignes de vaisseau vont commander bientôt des canonnières et des torpilleurs ; la flottille sera si nombreuse qu’il y aura des commandemens pour tous, même pour les quartiers-maîtres. Le jeune Baudin, nommé au commandement du Renard, n’attendit du reste que quelques jours à peine son brevet de lieutenant de vaisseau : ce grade lui fut conféré, le 29 août 1809, à l’âge de vingt-cinq ans. Accompagnons-le maintenant à la mer et voyons quel parti il saura tirer de son brick ligurien et de son équipage en majeure partie génois.

« Le 22 août 1810, dit-il, j’étais en croisière sur la côte de Toscane avec le Renard et la Ligurie, petit brick de dix commandé par le lieutenant Serra, qui est devenu contre-amiral dans la marine sarde. J’aperçus une frégate anglaise sous le vent à nous et j’allai la reconnaître. Cette frégate était le Sea-Horse, de quarante-quatre canons, capitaine Stuart. Par prudence, je laissai le long de la côte la Ligurie, dont la marche était assez inférieure : j’avais, au contraire, confiance dans la marche du Renard. Je n’hésitai pas à narguer de très près la frégate anglaise. Le vent, par malheur, tomba tout à coup, puis, après un certain intervalle de calme, s’éleva une légère brise, que reçut avant moi le Sea-Horse. Pendant que j’étais encore condamné à une immobilité complète, le Sea-Horse arriva sur le Renard toutes voiles dehors. »

Le vent finit toujours par venir à qui sait l’attendre. Le Sea-Horse approchait rapidement, mais les premiers souffles de la brise commençaient à enfler les voiles du Renard. Le brick prit chasse