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devancé son siècle sans le savoir. La loi qui régit les tempêtes tournantes n’a pas été découverte depuis plus de quarante ans et c’est bien un cyclone, non pas un coup de vent ordinaire, qu’éprouva la Piémontaise à l’entrée du canal de Mozambique.

La campagne de la Piémontaise dans les mers de l’Inde est restée célèbre ; personne ne l’a encore racontée avec ce ton de sincérité et de juvénile enthousiasme dont nous trouverons empreinte à chaque ligne la relation du vaillant amiral. « Dès que le mauvais temps fut passé, nous dit-il, nous réparâmes le mieux que nous pûmes nos avaries. Regréée avec des mâts de fortune, la Piémontaise recouvra une partie de sa supériorité de marche. Quelques jours après, nous atterrîmes sur l’Ile-de-France. C’était le soir : seul à bord, je connaissais les côtes de cette ile. J’offris de conduire la frégate au mouillage, malgré la nuit, en traversant la croisière ennemie, dont les fusées de signaux nous annonçaient la présence. À deux heures du matin, nous étions devant le Port-Louis : mon avis était de nous rapprocher de la côte et d’y jeter un pied d’ancre pour attendre le jour. La manœuvre semblait indiquée, puisque l’ennemi se trouvait dans le voisinage et que nous avions de graves avaries. Le capitaine Epron préféra se tenir sous voiles. Vers cinq heures du soir, pendant que nous courions la bordée de terre, une erreur de sonde fut cause que nous échouâmes à petite distance de la pointe des Canonniers. La batterie qui défendait la pointe ouvrit le feu sur nous. Un officier fut expédié dans une embarcation pour arrêter ce zèle intempestif et faire connaître aux compatriotes qui nous canonnaient notre nationalité. La batterie tira sur l’embarcation. L’officier de la Piémontaise, découragé, tourna les talons et revint à bord. J’obtins la permission de prendre sa place. Sans me laisser intimider par un feu assez mal dirigé d’ailleurs, je fis force de rames vers la batterie et je parvins à faire entendre raison à celui qui la commandait.

« À peine échappés à ce danger, nous allions en courir un autre de nature infiniment plus sérieuse. Un vaisseau de ligne anglais paraissait sous le vent : attiré par le bruit de la canonnade, il faisait force de voiles pour nous joindre. Ce vaisseau était le Sceptre, vaisseau de soixante-quatorze canons. Dès que nous le reconnûmes, nous cessâmes de jeter à la mer notre artillerie dont nous avions commencé à nous alléger. Un pilote nous vint, en ce moment critique, du Port-Louis. Nous étions à trois lieues environ du port. Le vaisseau ennemi n’était plus éloigné que d’une portée et demie de canon, quand, par une chance inespérée, nous parvînmes à nous remettre à flot. Malgré notre voilure réduite, nous soutînmes la chasse avec avantage, pendant plus d’une heure. Nous réussîmes enfin à gagner le mouillage intérieur du Port-Louis. Le Sceptre ne