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chargeant Barras de surveiller son éducation, — choix bien peu sûr et le pire assurément qu’il pût faire. — Deux fois par décade, les aides-de-camp de Barras venaient à la pension chercher Jérôme. Les études du jeune frère de Bonaparte souffraient naturellement de ces trop fréquentes sorties. M. Savouré écrivit à Barras la lettre suivante :


« Citoyen directeur,

« Lorsque le général Bonaparte m’a confié le soin de l’éducation de son jeune frère, il a voulu que j’en fisse un homme instruit et capable. Or je dois vous dire que rien n’est plus contraire à ce but que la fréquentation continuelle de vos aides-de-camp. Veuillez donc, citoyen directeur, me laisser entièrement maître de l’éducation du jeune Jérôme, ou bien retirez-le de chez moi.

« Salut et respect. »


« Barras n’était pas capable d’apprécier un tel homme : il prit M. Savouré au mot et retira Jérôme de la pension, au commencement de l’année 1799. Il le mit d’abord à Juilly, puis à Saint-Germain, chez M. Mac-Dermott.

« L’automne de 1797 me vit entrer en rhétorique. Je comptais un peu plus de treize ans. Mes études avaient été bonnes et je ne me rappelle pas sans un certain plaisir mes petits succès de collège. Il m’arriva même, — honneur dont je suis resté fier, — d’être deux fois couronné à la fête publique de la jeunesse, fête républicaine qui se célébrait, autant qu’il m’en souvient, le 10 germinal de chaque année. Toutes les pensions de Paris y concouraient, chacune présentant au concours son élève le plus distingué. Au mois d’août 1799, mes humanités se trouvèrent terminées. L’ambition de mon père n’était pas encore à mon sujet complètement satisfaite. Nommé membre de l’Institut dans la classe des sciences morales et politiques, lorsque la loi du 3 brumaire an IV fondit en un seul corps les quatre académies, mon père attachait le plus grand prix à me donner au moins un aperçu de toutes les connaissances humaines. J’eus un maître de dessin et un maître de mathématiques ; le peintre Vincent, un des confrères de mon père, offrit de me recevoir dans son atelier, quand je serais un peu plus avancé ; le géomètre Lacroix promettait de me pousser en mathématiques ; Gail l’helléniste me fortifierait sur le grec ; Audran m’apprendrait l’hébreu, le chaldaïque, le syriaque ; Mentelle se chargeait de la géographie. La plupart des confrères de mon père, pour ne pas dire tous, lui étaient extrêmement attachés et m’auraient