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demandait avec anxiété quelles garanties on aurait d’être soutenu, dans quelle mesure la Prusse protégerait ses alliés, s’ils étaient menacés par une double agression de la France et de l’Autriche, et vraisemblablement par une intervention italienne. La Prusse, avant de parer au danger d’autrui, ne se préoccuperait-elle pas tout d’abord de sa propre défense ? Ce n’étaient pas quelques régimens de la Confédération du Nord jetés dans Ulm et dans Rastadt qui préserveraient le Midi d’une invasion. On demandait des garanties plus précises que celles résultant des traités[1]. « Nous serons exposés à l’invasion étrangère, disait-on, nous subirons tous les dommages et toutes les horreurs de la guerre, nous serons dépouillés et foulés aux pieds, nous deviendrons le prix du vainqueur. »

Les gouvernemens, tiraillés en tous sens, étaient partagés entre la crainte et le sentiment de leurs devoirs ; ils comprenaient que l’heure était solennelle, que le temps des objections était passé ; la circulaire du 7 septembre, commentée énergiquement par la diplomatie prussienne, était l’équivalent d’un ordre sans réplique. Les agens et les partisans de la Prusse les harcelaient sans relâche, ils se constituaient leurs auxiliaires officieux ; ils ne craignaient pas de recourir à des moyens révolutionnaires, en organisant des assemblées populaires pour intimider les corps constitués et pour leur imposer un vote favorable. La partie était vigoureusement engagée de part et d’autre, car les adversaires de l’unification ne mettaient pas moins d’ardeur à défendre l’autonomie du pays. En Bavière, c’était surtout le parti catholique qui s’agitait et pétitionnait. Des adresses envoyées au roi de tous les coins du royaume protestaient contre l’aggravation des impôts et réclamaient de nouvelles chambres pour permettre au peuple de choisir des représentans qui, au lieu de livrer le trône et le pays à la « Grande Prusse » sauraient maintenir la souveraineté de la Bavière. En Wurtemberg, c’était M. Mohl[2], un des membres les plus éminens de la seconde chambre, qui se mettait à la tête du mouvement. Il combattait les

  1. Dépêche d’Allemagne. — « Les cours de Munich et de Stuttgart persistent à protester de leur fidélité aux traités d’alliance, mais l’éventualité d’une guerre les effraie ; elles voudraient obtenir du cabinet de Berlin des garanties précises, certaines. Elles craignent que le roi de Prusse, en usant du droit qui, d’après les traités, lui confère le commandement suprême de toutes les armées allemandes, ne dispose, avant tout, de leurs contingens que pour sa propre défense ; elles ont peur d’être exposées aux premiers coups, d’être livrées à la vindicte de la France et de l’Autriche, si le sort des armes était contraire à l’Allemagne. Il est difficile à la Prusse de tranquilliser ses alliés autant qu’ils le désirent ; elle peut bien garantir leurs droits de souveraineté en cas de succès, mais elle ne saurait garantir leur intégrité territoriale en cas de revers. »
  2. M. Mohl était le frère du célèbre orientaliste naturalisé Français et membre de l’Institut ; ses antécédens du libéralisme le pluspur et ses sentimens d’un germa nisme éprouvé donnaient à ses discours et à ses écrits une grande autorité.