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M. de Savigny, dans cette revue dramatique des moyens d’action auxquels son gouvernement se proposait de recourir, exagérait sans doute. Ses paroles, empreintes à la fois de craintes et de menaces, dénotaient cependant un grand trouble dans les idées prédominantes à la cour de Prusse. Mais l’irritation à laquelle on cédait dépassait le but, elle eût été inexplicable si elle n’avait pas coïncidé avec les élections pour le parlement du Nord. On battait monnaie électorale avec l’entrevue, on en exagérait à plaisir la portée ; les récriminations étaient voulues. Pour M. de Bismarck, ne pas avancer, c’était reculer, et il ne pouvait avancer qu’en attisant les passions nationales.

La bonne entente avec le cabinet de Berlin, que la cour des Tuileries s’était récemment donné tant de mal à rétablir, était de nouveau gravement et gratuitement compromise. Si l’état de notre armée n’avait rien laissé à désirer, l’entrevue eût été appréciée certainement avec plus de philosophie, mais on nous savait en pleine transformation militaire, incapables de le prendre de haut. C’est la moralité qui se dégageait du reste de toutes les crises que le chancelier, dans la pensée de nous énerver et de nous atteindre dans notre prestige, soulevait si volontiers au moindre prétexte.

Notre diplomatie en Allemagne appréhendait des complications ; elle s’appliquait à les conjurer.

« C’est au gouvernement de l’empereur de décider, écrivait-on au ministre des affaires étrangères, s’il ne conviendrait pas dans l’intérêt de la paix d’arrêter la cour de Prusse dans la voie violente, périlleuse, où elle s’est engagée, soit par de franches explications diplomatiques, soit par des déclarations plus solennelles qui auraient l’avantage de rallier à notre politique les gouvernemens et les peuples qui n’ont vu dans l’entrevue de Salzbourg qu’un gage non équivoque donné à la tranquillité de l’Europe. »

Cette politique s’imposait, à moins de fournir aux états-majors