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Prusse, sur des assurances données à Paris, qu’à son retour de Salzbourg l’empereur rendrait au roi sa visite. Aller à Berlin après nos mécomptes eût été excessif, mais se rencontrer avec Sa Majesté à Coblentz eût été politique. La cour de Prusse avait depuis trop peu de temps le sentiment de sa force et de sa grandeur pour n’être pas sensible à une marque de déférence qui, après tout, n’était que l’accomplissement d’un devoir de politesse. L’axe de la politique était depuis Sadowa violemment déplacé ; s’il ne passait pas encore à Berlin, déjà il n’était plus à Paris. C’est ce qu’on se refusait à croire aux Tuileries.

La ville de Salzbourg s’était pavoisée, elle ne se préoccupait pas du motif qui lui valait la présence d’hôtes illustres, elle se mettait en frais, non pour pleurer l’archiduc Maximilien, mais pour fêter les deux empereurs et distraire les deux impératrices[1]. On ne parlait que de bals, d’illuminations, de promenades nocturnes en gondole, de spectacles et de galas organisés par l’intendant des théâtres impériaux. Ce n’est pas ainsi qu’on célèbre la mémoire des morts, c’était enlever à une démarche dictée par un sentiment de piété sa grandeur et sa dignité. Aussi l’archiduchesse Sophie avait-elle refusé de paraître à l’entrevue ; profondément ébranlée par la mort de son fils, elle avait fait vœu, disait-elle, de porter le deuil jusqu’à la fin de ses jours.

L’empereur et l’impératrice, avant de partir pour l’Allemagne, s’étaient arrêtés à Châlons ; ils quittèrent le camp triomphalement, acclamés par l’armée, le 17 août, à huit heures du matin. A Carlsruhe, ils furent salués par le grand-duc et par la grande-duchesse de Bade, qui offrit un superbe bouquet à l’impératrice, et à Ulm, par le roi de Wurtemberg[2]. Des vivats éclatèrent sur leur passage : ce n’était pas l’amour de la France qui les inspirait, mais les ressentimens contre la Prusse. Il était une heure du matin lorsque le train impérial arriva à Augsbourg[3].

  1. La gare était décorée du haut en bas de velours semé d’abeilles, d’écussons avec le chiffre de Napoléon, de mats vénitiens et de drapeaux tricolores. L’empereur aurait pu se croire dans une gare française.
  2. Ces musiques militaires jouaient l’air de la reine Hortense à l’arrivée du train dans les gares.
  3. L’empereur déclina l’hospitalité que lui offrait le roi de Bavière ; il descendit à l’Hôtel des Trois-Maures.