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calculées dès qu’elle se permettait l’observation la plus courtoise sur les questions qui touchaient à l’exécution du traité de Prague.

« J’ai fait observer à Ems, disait le comte de Goltz, en traversant Francfort, combien était ingrate la tâche de l’empereur, en face d’une opinion déprimée, qui considérait la France comme déchue de son rang, et qui se sentait humiliée par des procédés blessans pour son amour-propre, par des actes qu’elle envisageait comme une atteinte à ses intérêts traditionnels. J’ai ajouté qu’en continuant de la sorte, on compromettrait infailliblement la paix, qu’il arriverait un moment où l’empereur se verrait débordé et entraîné à des résolutions qui lui répugnent. »

Partant de là, l’ambassadeur s’était fait le défenseur d’une politique modérée, conciliante, évitant des discussions oiseuses et des querelles irritantes. Il avait démontré que les appréciations émises par le gouvernement français dans des dépêches confidentielles, soit sur la question danoise, soit sur la création d’un parlement douanier, soit sur le sort des anciennes places fédérales, ne constituaient pas des immixtions caractérisées, bien dangereuses pour l’Allemagne, et qu’elles ne justifiaient pas le tapage qu’elles soulevaient à chaque instant dans la presse allemande.

Toutefois, M. de Goltz, en se portant garant de nos sentimens pacifiques, n’était pas allé jusqu’à atténuer l’étendue de nos armemens et les propos belliqueux qui se tenaient dans les cercles de la cour et dans les sphères gouvernementales. Il n’en restait pas moins persuadé d’avoir, momentanément, imprimé à la politique de son gouvernement, par ses explications et par les assurances dont l’empereur l’avait prié d’être l’interprète, un caractère plus réservé et plus amical. Mais il craignait que le chancelier, en contact avec le parlement, dont la réunion était prochaine, n’en vînt de nouveau, se laissant entraîner par l’effervescence de son tempérament, à sacrifier ses bons rapports avec la France aux exigences passionnées de sa politique allemande.

M. de Goltz avait plaidé notre cause avec chaleur ; s’il n’avait pas convaincu son ministre, qui de parti-pris, et à tout propos, soulevait des incidens, il avait réussi du moins à impressionner son souverain. On constata, dès le lendemain de ses entretiens, que le diapason de la presse était changé ; d’acariâtre, son langage était devenu accommodant[1]. On se flattait sans doute à la cour de

  1. Dépêche d’Allemagne, 17 août 1867. — « Les déclarations contenues dans votre dépêche du 6 août me seront d’un usage précicux ; elles me permettront de calmer les appréhensions que j’entends se manifester et qui, par leur caractère persistant, ont pour effet de surexciter les passions germaniques et de les retourner contre nous. Elles contribueront d’autant plus efficacement à ramener la confiance, qu’elles concordent avec des instructions que M. de Bismarck a jugé utile d’adresser à ses agens en Allemagne à la suite de ses entretiens avec le comte de Goltz. La circulaire du chancelier s’appliquerait à enlever à l’entrevue de Salzbourg tout caractère inquiétant pour les relations amicales que la cour de Prusse entretient avec celles des Tuileries et d’Autriche. Ces instructions, inspirées, comme celles de Votre Excellence, par la même pensée, bien comprises et énergiquement commentées par la diplomatie des deux pays, ne sauraient manquer d’exercer sur l’opinion l’effet que le gouvernement de l’empereur et le gouvernement du roi on attendent. »