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imposée, non-seulement par l’attitude ombrageuse de la Prusse et le mauvais vouloir de la haute aristocratie, qui, obéissant à des rancunes invétérées, se montrait hostile à l’alliance dont il faisait le pivot de sa politique, mais aussi par ses exigences parlementaires. Il ne pouvait rompre ouvertement avec le sentiment germanique et protester contre les tendances unitaires, sans froisser les députés des provinces allemandes dont l’appui lui était indispensable pour consolider son compromis avec les Hongrois et pour consacrer le dualisme. Aussi, dans une dépêche célèbre, avait-il déclaré que désormais la monarchie des Habsbourg ne prendrait pour règle de sa conduite, ni ses souvenirs, ni ses regrets, ni même ses sentimens, qu’elle ne consulterait en toute rencontre que les intérêts de sa sûreté et de son influence dans le monde. Mais nous savions que, si M. de Beust, dans son langage officiel, affectait le désintéressement et l’abnégation, il ne perdait pas l’Allemagne de vue. Dans ses épanchemens avec la diplomatie française, il ne contenait pas l’expression de ses regrets et de ses espérances ; il ne lui cachait pas que le cabinet de Berlin avait recours à tous les moyens et se servait de toutes les influences pour renouer ses anciens rapports avec la cour de Vienne et pour la rattacher à l’Allemagne ; mais il lui disait aussi, pour la tranquilliser, qu’il maintiendrait la liberté de ses alliances et mettrait le soin le plus rigoureux à ne rien dire et à ne rien faire qui pût autoriser la Prusse à croire à une prochaine réconciliation.

Le souci constant de M. de Bismarck, après la guerre de 1866, était, en effet, d’associer l’Autriche étroitement à sa politique et de l’empêcher de s’engager contractuellement avec la France. Il voulait l’amener à tout prix à chercher son point d’appui à Berlin plutôt qu’à Paris, en lui prouvant qu’elle se méprenait sur ses tendances, que l’hostilité dont il la poursuivait naguère avait disparu de son cœur et qu’en s’associant résolument à sa politique, elle consoliderait le présent et retrouverait en Orient, suivant les prévisions du testament de Joseph II, ce qu’elle avait perdu en Allemagne et en Italie.

« Il est heureux, disait-il, que la France, après la bataille de Königsgraetz, nous ait empêchés d’entrer à Vienne. Tout le monde avait la tête en feu et des démangeaisons dans les jambes. Le roi ne se consolait pas de ne pas coucher à la Burg, mais il n’entrait pas dans mes plans de détruire l’Autriche et de rendre impossible une réconciliation ; je ne voulais pas faire de trou dans le midi de l’Europe[1].

Un publiciste[2] qui ne recule devant aucune divulgation

  1. M. Victor Cherbuliez, l’Allemagne politique.
  2. M. Maurice Busch.