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ces formes et ces caractères sont par définition incompatibles ? On a détruit les idoles métaphysiques de l’obligation, de l’impératif catégorique, du devoir rationnel, des sanctions de la conscience, et voilà qu’on les rétablit par de singuliers détours de raisonnement, après leur avoir fait subir une sorte de purification préliminaire et de baptême expérimental. Mais ne sent-on pas qu’on démontre par cela même l’inévitable nécessité de ces principes, l’impossibilité pratique de s’en passer ; et ne craint-on pas d’inspirer à la raison humaine la tentation de revenir tout simplement à la source supérieure d’où ils émanent ?

Partout, c’est la même fureur logique de destruction et partout se produit, aussitôt après la ruine des vieilles idées, le sentiment des grandes lacunes qui s’ouvrent devant les théories nouvelles, partout le sentiment des insuffisances pratiques qui forcent leurs auteurs de recourir à des expédiens ou à des équivalens fort inefficaces, destinés à marquer la place vide plutôt qu’à la remplir. On nous dit, par exemple, que la liberté est condamnée et par la physiologie et par la doctrine de l’universel déterminisme. La science a parlé, il faut s’incliner ; il faut croire qu’elle a raison, à supposer qu’une pareille question soit de sa compétence. Mais aussitôt que le déterminisme a étendu son implacable niveau sur la vie humaine, chacun de ceux qui l’ont établi essaie d’y soustraire quelques portions de cette vie et de ramener, sous quelques déguisemens, la réalité pratique qui n’est pas impunément méconnue. C’est Stuart Mill, par exemple, qui oppose aux motifs déterminans, présens à la conscience, la possibilité de susciter des motifs nouveaux, par lesquels s’il n’est pas détruit, du moins le déterminisme intérieur est déplacé. Quels sont donc ces motifs et quelle en est la portée ? Ou bien, pour se réaliser en une volition, ils impliquent la liberté, ou bien, si l’adhésion à ces motifs n’implique pas un acte libre, si elle n’est qu’une autre forme du déterminisme, il ne peut être moral d’y adhérer, cette adhésion ne dépendant pas de nous. — N’y a-t-il pas là comme un retour indirect à l’ancienne et inévitable idée de la liberté ? Toujours d’après M. Stuart Mill, chaque homme est responsable de ses dispositions mentales, un amour insuffisant du bien et une aversion insuffisante du mal, responsable aussi de son caractère, qu’il n’a pas modifié dans le sens des bons sentimens, responsable encore, s’il a commis une faute grave, de n’avoir pas donné la prépondérance à la crainte du châtiment sur les motifs égoïstes, criminels ou bas. — Mais tout cela, il pouvait donc le faire ? Tant de choses dépendaient donc de lui ? Et quel autre sens peut-on donner raisonnablement à la liberté du choix ? — « Modifiez votre caractère, nous