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souriant : « La France en mourra peut-être, mais ce sera une expérience scientifique pour l’humanité. »


III.

L’humanité civilisée va-t-elle rompre définitivement, sur la sommation d’une école, avec tout son passé, avec tout cet ensemble d’idées et de traditions, fixées, pour ainsi dire, consolidées à travers tant de générations, consacrées par tant d’espérances et de souvenirs et qui semblaient former comme une patrie morale, un refuge inviolable pour l’esprit humain ? L’enjeu, dans le conflit engagé, c’est toute la conscience de l’homme, c’est toute sa destinée. Grande et tragique partie qui se joue autour de nous et en nous et dans laquelle, si nous perdons, tout ce que nous croyons, tout ce que nous espérons est à jamais perdu.

À mesure que nous tracions ce sombre tableau, quelques réflexions consolantes s’offraient à notre esprit ; nous les avons recueillies presque au hasard ; il nous semble qu’il peut y avoir quelque intérêt de réconfort à les réunir. De cette façon, en dehors de tout programme d’école et de toute argumentation savante, viennent se ranger d’eux-mêmes nos motifs de penser que cette cause, qui est celle des idées, si violemment battue en brèche par les partisans exclusifs des faits, n’est pas désespérée. Si nous considérons la France, que nous connaissons mieux que les autres pays, notre premier motif se tire de la résistance plus ou moins inconsciente que rencontrent ces nouveautés d’opinion, de la stabilité acquise au profit des idées contraires, de la possession d’état où on les trouve et qu’il n’est pas aisé de leur faire perdre. Par goût, par habitude, ou même par paresse d’esprit, un très grand nombre d’intelligences tiennent à rester en dehors de ces controverses passionnées ; elles se font un point d’honneur de leur immobilité ou, si l’on veut être juste, de leur fidélité aux convictions qui ont fait la vie morale de leurs pères et qui est pour elles comme un passé toujours vivant. Ce n’est pas là, dira-t-on, une situation d’esprit ni très haute, ni très raffinée, ni très scientifique. — Il ne faudrait pas cependant montrer trop de dédain pour ces parties considérables de l’humanité, qui, après tout, ne restent si fidèlement attachées à ce fonds de croyances que parce qu’elles en sentent l’affinité naturelle, l’accord avec leurs plus vivaces et leurs plus profonds instincts : âmes élémentaires, fort maltraitées par ces aventuriers de la pensée ; âmes un peu lourdes peut-être, mais substantielles et saines, sur lesquelles la superstition de la nouveauté et le respect humain n’ont pas de prise, mais qui, du moins,