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genre que répondait un jour M. Gladstone, en les comparant à la proposition d’un homme qui, voulant se délivrer d’un importun, lui dirait : « Ma maison a deux côtés, nous allons les partager. Voulez-vous prendre le dehors ? » Voilà comment procède l’agnostique : il prend toute la maison et offre le reste aux autres.

Le séculariste est plus hardi dans son détachement de tout dogme, ou plutôt il n’en a qu’un, celui de la vie présente, de la vie dans le siècle et des devoirs qu’elle réclame pour s’améliorer. C’est, si je puis dire, l’agnosticisme pratique, converti en maximes de conduite, et même en une sorte de religion. On nous a raconté l’histoire et tracé le programme de la secte. Ce furent les deux frères Holyoake, qui, vers 1846, lui donnèrent un corps en fondant la National Secular Society, destinée à devenir un centre de propagande. Mais cette association, qui a pour organe le National Reformer de M. Bradlaugh, finit par se laisser compromettre dans la politique agitatrice du candidat perpétuel au parlement, si bien qu’après la mort d’Austin Holyoake, en 1874, les chefs les plus renommés de la secte s’en allèrent fonder une société rivale, la British Secular Union, sur des principes dont quelques-uns méritent d’être rappelés : « 1. La vie présente, étant la seule dont nous ayons une connaissance certaine, réclame notre principale attention. — 2. La poursuite de notre bonheur personnel, ainsi que du bonheur général dans ce monde, représente le plus haut degré de sagesse, et de suprême devoir. — 3. Le seul moyen d’atteindre cet objet est l’effort humain basé sur la science et l’expérience, etc… » Les sécularistes se sont donné un rituel intitulé : the Secularist’s Manuel of songs and ceremonies, en vue de toutes les circonstances solennelles de la vie, comme la nomination des enfans, le mariage, les funérailles, et qui peut faire pendant à l’institution et aux règlemens des sacremens positivistes dans la religion d’Auguste Comte. Les chants sont désignés pour chaque cérémonie, et l’on nous cite les versets destinés à remplacer l’ite, missa est du culte catholique[1].

Portez-vous bien, chers amis ! Adieu, adieu,
Réjouissez-vous d’une manière sensible ;
Alors le bonheur résidera avec vous :
Portez-vous bien, chers amis, adieu, adieu.

La religion comtiste a complètement échoué en France. Il paraît que le culte séculariste a rencontré un assez grand nombre

  1. L’Évolution religieuse contemporaine, chap. VI.