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ne rencontre plus une opposition aussi absolue à Saint-Pétersbourg, l’empereur Alexandre III paraît garder encore quelque ressentiment contre le jeune vainqueur de Sliwnitza. L’Angleterre, avant de pouvoir engager sa politique extérieure, en est plus que jamais à se demander quelle influence va avoir la réunion du nouveau parlement, quel ministère elle aura demain, à qui restera la victoire entre conservateurs et libéraux également occupés aujourd’hui à conquérir les Irlandais par de larges satisfactions données à l’île sœur. Avant que cette question première soit tranchée à Londres, lord Salisbury ne peut guère dire ce qu’il fera en Orient, à Constantinople, à Sofia ou à Belgrade.

L’Allemagne, sans avoir les embarras de l’Angleterre dans sa diplomatie, a aussi ses affaires, ses difficultés, ses calculs, et avant tout, l’Allemagne vient de se donner à elle-même une représentation qui a eu certes sa grandeur, qui a ravivé une fois de plus dans les cœurs tous les souvenirs personnifiés dans le vieux monarque de Berlin. L’autre jour, en effet, a été célébré avec toutes les pompes monarchiques le vingt-cinquième anniversaire de l’avènement de l’empereur Guillaume à la couronne de Prusse, et cette cérémonie a pris le caractère le plus imposant, on pourrait dire le plus émouvant. C’était comme une nouvelle commémoration des événemens qui se sont passés pendant ces vingt-cinq années et auxquels le nom du souverain déjà presque nonagénaire reste ineffaçablement attaché. L’empereur Guillaume est un objet de vénération pour les Allemands, et son jubilé a été célébré comme une fête nationale. Après les services religieux qui n’ont pas manqué, il y a eu une réception solennelle dans la salle blanche du palais de Berlin, et ce n’était point certes une cérémonie banale que cette réception où l’on a vu le vieil empereur, jusque-là debout auprès du trône où était assise la vieille impératrice, aller au-devant de M. de Bismarck et de M. de Moltke qui s’approchaient pour lui rendre hommage. Ces trois hommes qui se retrouvaient encore là résumaient tout un passé extraordinaire ; ils représentaient les événemens qui ont agrandi la fortune de la Prusse et fait le nouvel empire d’Allemagne. Bien mieux, ils représentaient l’habileté et la prudence qui, depuis quinze ans, ont su conserver cette fortune acquise par las armes. Ils ont réussi et ils ont su garder le succès ! Seulement, et c’est là l’autre côté de ce grand spectacle, de ces trois hommes réunis, il y a quelques jours, dans la salle blanche du palais de Berlin, quel est celui qui peut se promettre désormais un lendemain ? L’empereur Guillaume a quatre-vingt-huit ans, M. de Moltke n’en a pas beaucoup moins, et M. de Bismarck, sans être d’un âge aussi avancé, semble bien courbé, bien atteint dans sa santé pour l’œuvre qu’il a poursuivie jusqu’ici avec une robuste et invincible opiniâtreté !

Le chancelier se plaignait récemment de ses souffrances qui le re-