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brutalement mis en disponibilité, et s’ils reparaissent plus tard dans quelque crise nouvelle, ils sont presque traités comme des revenans d’un autre monde. L’histoire de la France est, depuis longtemps, l’histoire des forces perdues, des destinées interrompues ou détournées, des hommes qui n’ont pas été tout ce qu’ils auraient pu être. Ainsi a passé un de nos contemporains, M. de Falloux, qui vient de mourir plus que septuagénaire dans sa province, à Angers, qui, après avoir brillé un instant sur la scène publique, vivait depuis plus de trente ans dans la retraite, mais qui, dans cette retraite, avait gardé son originalité, sa physionomie, la séduisante autorité d’un esprit éminent et d’un caractère élevé.

C’était un personnage, quoique depuis longtemps il n’eût plus rien de l’homme public et qu’il n’eût pas même été élu député dans l’explosion conservatrice de 1871. Né en 1811, fils d’une vieille famille de l’Anjou attachée à la royauté, élevé avec soin, le comte Alfred de Falloux arrivait à la politique, à la vie parlementaire aux dernières années du régime de 1830 ; il y arrivait en homme jeune encore, instruit, — il avait déjà écrit deux livres, l’Histoire de saint Pie V et l’Histoire de Louis XVI, — alliant une maturité précoce à la loyauté de l’esprit, et il se peignait lui-même, il prenait en quelque sorte position lorsqu’il disait dans un de ses premiers discours : « J’appartiens à une génération qui entre pour la première fois dans les affaires publiques, qui est née, qui a été élevée sous le régime constitutionnel, qui n’en a jamais connu et n’en a jamais servi d’autre… » Il représentait avec autant de modération que d’aisance cette génération qui faisait ses débuts, qui allait être sitôt rejetée dans les tempêtes, et il méritait d’être signalé comme « un des hommes en qui et par qui devait se faire la réconciliation de la vieille France et de la France nouvelle. » Rien de plus simple que cette carrière qui commençait ainsi, qui semblait avoir l’avenir devant elle et qui allait être singulièrement abrégée par une série de catastrophes imprévues. Élu député à la fin du règne de Louis-Philippe, il avait du premier coup pris sa place dans le parlement de la monarchie ; envoyé par son pays d’Anjou à l’assemblée de la république au lendemain de la révolution de 1848, il se trouvait aussitôt être un des chefs de la défense sociale contre les passions de démagogie déchaînées par la crise de février, et il montrait que chez lui la bonne grâce n’excluait ni la résolution de l’esprit, ni le courage dans l’action. Il était au premier rang aux grandes et périlleuses journées de l’invasion de l’assemblée et de l’insurrection de juin. Appelé au ministère de l’instruction publique dans le premier cabinet de la présidence napoléonienne du 10 décembre 1848, il passait tout au plus dix mois au gouvernement. Il n’était pas évidemment de ceux qui entendaient préparer l’avènement de l’élu du 10 décembre à l’empire, et lorsque, deux ans après, le 2 décembre éclatait, il était de ceux qui