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que cette expérience nouvelle de la concentration républicaine, due à l’imagination de M. de Freycinet, se fait dans l’intérêt et sous le bon plaisir de l’extrême gauche.

Eh bien ! soit, le ministère est fait ; il réunit des noms combinés au hasard, des hommes qui peuvent être un peu étonnés de se trouver dans un gouvernement, d’avoir à diriger de grands services publics. M. de Freycinet a été plus ou moins heureux dans sa diplomatie parlementaire. Toute la question aujourd’hui est moins dans les noms de quelques ministres que dans ce qu’on fera, dans la politique qu’on suivra. — Rien de plus simple, dit-on, le programme est tracé par les circonstances. On aura pour le moment une politique d’affaires, on ira au plus pressé. On raffermira et on disciplinera l’administration, qui paraît assez « détraquée. » On liquidera toutes ces affaires coloniales qui ont troublé l’opinion, et M. de Freycinet a déjà pris sous sa main les protectorats de l’extrême Orient. On en finira avec les déficits, on remettra à tout prix l’équilibre dans le budget, et déjà même on va presque trop loin en annonçant pour le ministère de la guerre des économies probablement irréalisables et peut-être dangereuses. On évitera enfin, autant qu’on le pourra, les questions irritantes, on passera cette année à apaiser les animosités parmi les républicains. — Il est possible, sans doute, qu’on ait ces intentions, et il est possible aussi qu’avec un certain art, avec quelque diplomatie, on réussisse à gouverner quelques mois ; mais ce serait une étrange méprise d’oublier qu’à côté de ce programme de procrastination habile, de l’ajournement des questions irritantes, il y a l’autre programme, radical, violent, menaçant, qui a aujourd’hui ses représentans dans le gouvernement, et il y aurait une singulière illusion à croire qu’on se tirera d’embarras sans des concessions, que les radicaux prêteront leur appui sans recevoir des gages, des acomptes. On fera prendre patience, si l’on peut, aux radicaux, on ne leur donnera pas de sitôt la séparation de l’église et de l’état ; M. le ministre de l’instruction publique continuera à les réjouir en poursuivant cette répugnante guerre de suppressions arbitraires des traitemens ecclésiastiques, de suppressions de vicaires, au risque de désorganiser ce service des cultes. On ne parlera pas de l’élection des juges, de l’autonomie communale, de la mairie centrale : on se contentera des épurations, des révocations, des inépuisables complaisances pour toutes les fantaisies du conseil municipal de Paris. De sorte qu’en définitive, pour vivre, on continuera à suivre par subterfuge, en détail, la politique qui a créé justement la situation difficile où l’on est arrivé, qui a fait tout le mal, qui est tout le contraire de l’apaisement pour le pays.

C’est là toute la question, et c’est là aussi que les conservateurs,