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allusions me causent un malaise. Le silence me paraît plus digne. Ces vers sont beaux, j'en conviens, et M. Coquelin semble heureux de cette occasion d’élever noblement la voix; n’importe, ce discours me gêne.

Cette réserve faite, je n’en ferai qu'une ensuite : la trop grande richesse de la rime, — n’est-ce pas un beau défaut? — occupe trop l'oreille dans une pièce de théâtre; elle risque même de la tromper. Si j’entends parler de « la nymphe qu'amuse — un faune, » et pour peu que l’actrice ait marqué la fin du vers, je crois d’abord qu'il s’agit d'une nymphe camuse, et je ne suis tiré d’erreur qu'à la fin du vers suivant, lorsque je trouve justement cette épithète à la rime. D’ailleurs, Hugo lui-même n’a-t-il pas déclaré, dans cette préface de Cromwell qui reste l’évangile des romantiques et comme leur loi révélée, que « le vers au théâtre doit dépouiller tout amour-propre, toute exigence, toute coquetterie ? »

Après ces chicanes, j’ai hâte de me mettre à l’unisson des panégyristes : la fable imaginée par l’auteur est simple et plaisante; son vers est agile, souple et joliment sonore; son langage coloré, diapré même; il tinte, il est teinté. Ce petit ouvrage est le digne caprice de M. de Banville, prince des orfèvres et des verriers, expert à ciseler subtilement une aiguière où se jouent des demi-dieux et de malicieuses mortelles, à souffler purement une bulle qu'irise un rayon de soleil captif.

M. Coquelin, par la sobriété de sa mimique et les nuances de sa diction, est le Socrate idéal ; Mme Jeanne Samary, qui fait Xanthippe, n’est-elle pas une Parisienne trop réelle ? j’ai lu dernièrement, sur l’enseigne d’une taverne qui se donne pour un cénacle littéraire : « Cet édifice fut élevé, Freycinet et Allain-Targé étant archontes... Passant, sois moderne ! » Mme Jeanne Samary est moderne selon le conseil de ce cabaretier helléniste : elle étonne et détonne un peu dans la maison de Molière; que dire, dans la maison de Socrate!


LOUIS GANDERAX.