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prenait charge en y installant sa capitale ; 30 millions devaient être fournis par la vente de terres publiques de la province, des terrains de la nouvelle capitale et de quelques propriétés qui lui restaient encore dans l’ancienne.

Le docteur Rocha, qui mettait un amour-propre vigilant à surveiller les moindres détails de sa grande œuvre, voulut ouvrir un concours pour les plans des principaux édifices. Les programmes furent envoyés à profusion dans le vieux continent. Il ne semble pas que cet appel ait été entendu en France. Trois projets venus de l’extérieur ont été couronnés ; ils appartiennent tous trois à des professeurs d’écoles d’architecture du Hanovre. Il n’est pas défendu de voir là un symptôme du soin avec lequel l’Allemagne suit le mouvement des pays étrangers et de la négligence que nous mettons à savoir ce qui s’y passe. Ces trois édifices, aujourd'hui en construction, ont un fort accent germanique ; mais l’un d’eux surtout présente de sérieuses qualités. C’est la Municipalité. L’auteur s'est inspiré des hôtels de ville du Nord, berceau en Europe des libertés communales à une époque où florissait une architecture aussi virile que la vie militante de la bourgeoisie émancipée. Il a donné à son monument une allure massive, mais fière, qui ne perd point sa saveur sous le ciel éclatant et au milieu de la civilisation démocratique de La Plata.

L'école française ne laisse pourtant pas d’être représentée. Elle l'est, il est vrai, par un Belge, M. Dormal, élève de l’École centrale d'architecture de Paris et établi depuis longtemps dans le pays. Il a été chargé de l’œuvre la plus importante de la nouvelle capitale, le palais du gouverneur. Son projet, de belle ordonnance, rappelle un peu. par les lignes générales, le Luxembourg. Il a moins de sérieux et de fermeté, sans doute, mais offre un caractère de caprice élégant et de luxe gai tout à fait aimable.

On pourrait dire, à la rigueur, que la tradition française a également inspiré M. Benoît, qui était alors à la tête du service d’architecture à la direction des travaux publics, et dont le nom, qu'il est impossible de ne pas mentionner à propos de la fondation de La Plata, révèle assez l’origine. Seulement, Argentin de naissance et d'éducation, M. Benoît n’a pas démenti, dans les nombreux travaux qu'il a exécutés, les tendances et la facilité d’assimilation d’un pays cosmopolite. On peut citer de lui, entre autres, un ministère de style italien, une cathédrale gothique, un arc de triomphe renaissance, conçus avec une tranquille et correcte distinction.

Voilà, dira-t-on, d’après ces échantillons, beaucoup de magnificences. Est-il possible que la construction privée ait pu emboîter le pas et suivre, même de loin, ces splendeurs administratives? Franchement, c’est ce que l’on est tenté de reprocher à tous ces palais,