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chose entendue qu'elles se tracent d’abord sur le papier et se rapportent ensuite sur le terrain, comme une simple maison. Elles ne sont qu'une maison plus grande.

Il est bon d’entrer dans quelques détails sur le plan de celle-ci, qui est un échantillon perfectionné de ce qui s’exécute couramment dans le pays pour les créations de même genre. La loi provinciale du 1er mai 1882 détermine l’étendue des terrains à exproprier pour la former. Elle est de six lieues carrés et vingt-deux centièmes. Comme il s’agit ici de lieues de 5 kilomètres, cela représente 150 kilomètres carrés ou 15,000 hectares environ.

Sur cette surface, 900 hectares, ou un carré de 3 kilomètres de côté, sont réservées à la ville proprement dite, et divisées en moulons réguliers de 120 mètres de côté en général. Dans les parties centrales où ce sont les mètres de façade qui ont de la valeur, les rues sont plus serrées. Ces carrés sont de temps en temps traversés en écharpe par des avenues diagonales dont il vient d’être parlé, et cela y détermine des surfaces triangulaires dont l’aménagement en appartemens fait pour le quart d’heure le désespoir des architectes argentins, habitués de temps immémorial à construire en rectangle. Les rues ont 20 mètres, les avenues et les boulevards 40 et 50 mètres de large. Dans certaines avenues principales, en ligne droite sur les 4 kilomètres de long, on a ménagé au centre une voie de piétons bordée d’arbres. Les premières qui furent tracées de la sorte ont été ornées de palmiers. C’est un arbre tropical bien décoratif sans doute que le palmier: il forme, le long de certaines allées de Rio-Janeiro, des colonnades végétales d’un effet saisissant; mais dans les régions tempérées de La Plata il est tout dépaysé. Son panache de feuilles prend un air minable ; la belle perspective de ses fûts élancés s’alignant à perte de vue en est toute gâtée. Les rues, à l’instar de celles des États-Unis, ont pour nom un simple numéro. Cela ne laisse pas d’être commode. Il suffit de s’être mis, et c’est l’affaire d’un quart d’heure, le plan de la ville dans la tête, pour qu'une adresse qu'on vous donne : — rue 6 au coin de 73, — vous indique à l’instant la direction à suivre et la distance à parcourir. Les Nord-Américains goûtent fort cette simplification ; mais il semble que le génie latin, plus concret, préférera toujours, même pour une rue, un nom individuel à un chiffre abstrait. Déjà ici, les grandes avenues cumulent, et, en plus de leur numéro d’ordre, ont un nom propre : avenue-Indépendance, avenue de la Liberté. C’est une résistance instinctive contre la glaciale régularité d’une nomenclature arithmétique.

Les fondateurs de la Plata auraient été impardonnables, le terrain qu'ils avaient à lotir ayant à ce moment peu de valeur, de se montrer parcimonieux d’espace, d’air et de pelouses pour les futurs