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des peuples cherchent et trouvent leur voie au travers et en dépit des aveugles luttes des partis, c’est la politique traditionnelle de Buenos-Ayres, ce sont ses tendances unitaires qui ont prévalu dans cette campagne menée à ses dépens au nom des théories fédératives. En considérant ce résultat et en présence du fait accompli, il est oiseux de rechercher s’il eût été préférable que la besogne eût été faite par la province la plus avancée, au lieu de l’être contre elle. Elle est faite, c’est l’essentiel. Il semble que l’erreur du gouvernement national, quand il a épousé les rancunes des fédéralistes, a été de croire qu'il lui suffirait de se déclarer possesseur d’une ville pareille pour l’obliger à penser suivant sa fantaisie ; en réalité, il pourrait se faire, malgré la garnison assez nombreuse dont il l’a gratifiée, qu'il n’ait jamais été plus dominé par cette cité éclairée, indépendante et gouailleuse, que depuis qu'elle lui appartient. On a beau se raidir contre les manifestations de cet esprit public exigeant et éveillé qui, en chaque pays, se développe dans sa plus grande ville et donne le ton aux autres, c’est un voisin à la collaboration duquel on ne se soustrait qu'imparfaitement. Le gouvernement argentin, dont le but, en l’espèce, était de le mater, n’avait pas assez médité la théorie de l’influence des milieux. Il s’est placé dans la gueule du loup au lieu de mettre, comme il le croyait, le loup dans sa poche. Il faut en féliciter tout le monde et surtout lui-même; mais revenons à la province de Buenos-Ayres, que nous avons laissée amputée de sa capitale et rêvant aux moyens de s’en procurer une nouvelle.

Les premiers momens qui suivirent la secousse furent de cruel désarroi. La solution que la brusquerie des événemens militaires avait amenée passait, la veille même, pour tellement invraisemblable, que personne n’y avait arrêté sa pensée, pas même ceux qui l’imposèrent. Que devait-ce être de ceux qui la subissaient ! La législature provinciale dissoute, le régime de l’état de siège proclamé, le pouvoir confié à des intérimaires pressés d’abandonner un poste ingrat, telles étaient les conditions où l’on se trouvait. Elles n’étaient rien moins que favorables pour arrêter un plan réfléchi et s’organiser sur nouveaux frais. On faisait semblant de s’en occuper. Personne qui n’eût son mot à dire sur les conditions que devait remplir la future capitale de la province. Les principales villes et même des villages ambitieux se mettaient à l’envi sur les rangs, énuméraient leurs titres à cet honneur. L’un faisait valoir sa situation ; l’autre, son commerce ; un troisième, l’abondance des matériaux de construction ou la salubrité du climat aux environs. On eût pu longtemps discuter de la sorte. La question commença seulement à se circonscrire lorsque le docteur don Dardo Rocha vint prendre possession du gouvernement de la province. Il fut