Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu'à la lecture du premier programme préparé par le comité (5 juillet 1789), on s’aperçoit du peu de netteté dans les vues et du peu de précision de la langue politique. C’est ainsi qu'après la division consacrée des trois pouvoirs le comité propose, on ne sait pourquoi, de régler les devoirs et les fonctions du pouvoir militaire. Toutefois, ce n’est que sur le second rapport (28 août) que la bataille des idées s’engage. Meunier avait commencé par reconnaître hautement que la souveraineté résidait dans la nation: mais que cette souveraineté, la nation ne pouvait l’exercer directement elle-même; deux chambres délibérant séparément étaient nécessaires pour assurer la sagesse des délibérations « et pour rendre au corps législatif la marche lente et majestueuse dont il ne doit pas s’écarter. » La majorité du comité pensait, en outre, que l’autorité royale ne pouvait être réellement protégée si l’on refusait au roi le droit absolu de sanction. L’assemblée avait été avertie, par la bouche de Meunier, qu'elle touchait au moment suprême, et elle allait décider si la France aurait une constitution viable ou si elle tomberait dans une longue et funeste anarchie.

Derrière une seconde chambre, la bourgeoisie s’obstinait à voir reparaître le spectre de l’aristocratie, qu'elle voulait abaisser pour toujours. Elle se décida pour une assemblée unique. Il était indispensable alors que la chambre des représentans eût un contre-poids qui l’empêchât d’arriver à la tyrannie. Thouret, avec la forte trempe de son esprit, était intervenu dans les débats pour chercher une conciliation. Le veto absolu fut écarté ; le veto suspensif l'emporta, avec effet, jusqu'à la seconde législature seulement. C'en était fini des idées gouvernementales de Mounier et de ses amis. Tout en restant dévoué à la monarchie constitutionnelle, la majorité des députés de l’ancien tiers état se fermait les oreilles. Elle tenait pour démontré que les institutions des autres peuples étaient imparfaites, et que jusqu'en 89 le genre humain s’était égaré.

Ce fut bien pis lorsqu'on examina le rôle des ministres et la portée qu'il fallait attribuer à la responsabilité ministérielle. L’insouciance sur ce point n’eut d’égale que l’ignorance. Qui se douta, excepté Mirabeau, que le ressort principal du mécanisme constitutionnel était tout entier dans ce principe? La plus lourde faute, en matière d’organisation politique, fut commise lorsque fut votée la proposition de Lanjuinais, excluant du ministère tout membre de l'assemblée nationale (7 septembre 1789). Les méfiances envers Louis XVI avaient grandi, et le fossé qui séparait les deux pouvoirs s'élargissait.

Du moins, lorsqu'il s’agit de réformer les institutions judiciaires,