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Rentrée au logis, un air d’égalité y règne : la coutume de Paris lui donne, dans les profils, des droits étendus ; elle est consultée dans toutes les affaires, aucune ne se conclut sans son assentiment. Elle gagne en bon sens ce qu'elle n’a pas toujours en orthographe; et, si ce n’était sa fidélité conjugale, on lui appliquerait ce mot du plus fin Parisien d’alors : « Une femme n’en est pas moins adorable pour mettre une s à la fin de : Je vous aime. »

Une exception est cependant à signaler. La société des financiers, par son opulence, ses goûts de luxe et de plaisir, par ses désirs d'arriver à la noblesse, faisait contraste avec la majeure partie de la haute bourgeoisie. Les fermiers généraux tenaient une place intermédiaire à peu près semblable à celle des magistrats des parlemens. Très en vue, coudoyant les grands seigneurs, les Beaujon, les Bouret, les Grimod, les Godart, les Augeard, tous d’une rare aptitude administrative, quelques-uns même écrivant avec une plume de véritable gentilhomme, à force de bel air et d’impertinente individualité, avaient emprunté ces vices élégans qui substituaient les fantaisies aux passions et ce scepticisme que donne aux manieurs d’argent la connaissance intime de l’espèce humaine. C'était dans le milieu des financiers que se trouvaient en plus grand nombre les raffinés à qui l’on devait la création de toute cette artistique industrie du rococo, du superflu, de l’inutile, de la récréation des yeux, que le XVIIIe siècle a emportée avec ses paniers, ses falbalas, ses élégances. C’était là aussi que se recrutaient ces dégoûtés à qui rien ne faisait plus d’effet comme vrai, mais comme bien trouvé ; ceux qui méprisaient les hommes en théorie par-delà ce qu'on peut imaginer et qui cédaient, à chaque instant, à des sentimens de bienveillance et d’indulgence ; le siècle le voulait ainsi.

Si quelques scandales, dont toutes les chroniques parlèrent, ont compromis des noms de femmes appartenant aux degrés supérieurs du tiers état, il faut se garder de généraliser. Les fortes assises de la famille bourgeoise ne furent pas atteintes, même au travers des dissipations et des tentations de la richesse rapidement acquise. La mère était là avec ses préoccupations de l’éducation des enfans. Le collège des Grassins, le collège du Plessis ou les oratoriens de Juilly comptaient au premier rang de leurs élèves studieux les fils de ces fastueuses parvenues, les plus empressées à fêter l'esprit et les philosophes.

Il faudrait se garder de croire que la province fût séparée de Paris par les idées et les sentimens ; si l’on y connaissait moins la douceur de vivre, la volupté de causer librement avec les hommes qui vous entendent à demi-mot ou qui vous devinent, on était souvent mieux informé de l’existence des livres. Un ouvrage en plusieurs