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asile aux femmes du monde, l’éducation des élèves se ressentait de leur rencontre. C’était du reste la haute bourgeoisie qui fournissait elle-même le plus de religieuses aux congrégations de la Visitation, de Sainte-Ursule et des Sœurs de la Charité; elles y portaient en général l’esprit de mesure et de discernement.

Dans les quelques années qui précèdent la révolution, l’éducation par la famille est à la mode : la jeune fille doit se former par les lectures, par les conversations, par les observations dans le milieu social qu'elle fréquente. Quand on voit Meunier lui-même, Meunier, après Mirabeau la tête la mieux équilibrée de la constituante, écrire dans l’exil : « Lisez Emile, et malheur à vous si vous n’éprouvez pas le besoin de devenir meilleur! » quand la possession de toutes les œuvres de Jean-Jacques Rousseau « est un délice, une félicité qu'on ne peut bien goûter qu'en l’adorant; » quand une jeune fille, la plus honnête, la plus noble de cœur, la plus intelligente, pense ainsi, il est bien difficile que la direction des femmes soit la même qu'au XVIIe siècle.

A Paris, la bourgeoisie ne met plus ses filles au couvent que pour leur première communion. Elles passent leur vie près de leur mère. On sort deux fois par semaine en toilette : le dimanche, pour les offices et la promenade ; un autre jour, pour les visites entre parens ; on les conduit cependant au Salon de peinture, mais elles ne vont au théâtre que lorsqu'elles sont mariées. On leur donne des maîtres à domicile ; au sortir des deux années passées au couvent, elles s’instruisent presque toutes seules, lisant les mêmes livres que leurs frères. L’éducation sentimentale entre enfin dans la bourgeoisie féminine. La jeune fille devient attentive au mouvement des faits et des idées ; elle sent et elle se passionne. Dans cet intérieur discret où elle est aimée, où sa jeunesse s’écoule austère, elle n’est plus aussi pieuse et plus du tout dévote.

Si vous voulez la voir vivre et marcher, la surprendre dans ses habitudes, regardez-la dans les tableaux de Chardin avec ses manches relevées à la saignée du bras, son tablier à bavette, sa guimpe noire, sa croix à la Jeannette, sa jupe de calmande rayée ! Regardez-la encore en toilette de dimanche, son manchon à une main ! Elle va se rendre au sermon avec sa mère en coqueluchon noir, la jupe à retroussis. Elle arrange le nœud de sa fanchon ou son ruban au parfait contentement. C’est l’intérieur du ménage avec l'activité, l’ordre, la règle des heures, les joies modestes du devoir. Il y passe comme un parfum léger de félicité domestique.

Suivez-la dans le monde quand elle est mariée! Elle a l’imagination plus souple et plus vive que son mari ; elle a mieux que lui le talent de narrer; les liaisons des mots sur ses lèvres sont imperceptibles.