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économiques et militaires sont aujourd'hui amplement satisfaits, elle peut s’en remettre au temps pour achever sa tâche. Elle a donné, d'ailleurs, et donne chaque jour, des preuves non équivoques de sa modération. Ne résiste-t-elle pas aux instances des états du Midi, qui voudraient forcer la barrière du Mein et entrer dans la confédération du Nord? Le voyage du roi et de la reine à Paris, l'initiative prise par le cabinet de Berlin à Copenhague, et l’appui qu'il prête à la France en Orient, ne sont-ils pas autant de gages de sa sincérité ? Mais ce qu'elle ne saurait admettre, c’est d’être le bouc émissaire des fautes d’autrui. Si le gouvernement français, l'an dernier, a été mal inspiré dans sa politique extérieure, mal servi par sa diplomatie, et s’il en est résulté des difficultés pour ses affaires intérieures, dont la Prusse est loin de méconnaître la gravité, est-il permis de l’en rendre responsable?

« Le gouvernement prussien n’en est pas moins disposé à faire à la paix toutes les concessions compatibles avec sa dignité. Reste à savoir si elles seraient suffisantes pour réconcilier la France avec les transformations sorties des événemens de 1866 et pour la rassurer sur notre action en Allemagne. Il est, d’ailleurs, des exigences auxquelles nous ne saurions satisfaire. Le roi peut-il céder Düppel et Alsen, que ses troupes ont conquises après des luttes sanglantes? Et cependant, c’est sur la question du Schleswig, depuis que la Belgique et le Luxembourg sont hors de cause, que la France paraît vouloir, en encourageant à Copenhague des prétentions excessives, engager la lutte. Les stratégistes français en sont déjà à parler d'une campagne d’hiver... Ce sont là de tristes perspectives.

« La Prusse ne provoquera certes pas la guerre, elle la subira à son corps défendant, mais elle la fera résolument, et l’on peut être certain qu'elle ne la prendra pas au dépourvu, ni diplomatiquement, ni militairement. Ses mesures sont prises. Elle peut compter sur la neutralité de l’Angleterre et peut-être même sur son intervention en cas de revers; la Russie est son alliée naturelle, et le voyage de l’empereur Alexandre à Paris, marqué de tant d’incidens fâcheux, n’a fait que resserrer d’une manière plus étroite la politique des deux gouvernemens. L’Autriche, sous la direction remuante de M. de Beust, ne demanderait pas mieux que de prendre une revanche, mais la Russie sera là, à l’heure voulue, pour tempérer ses velléités belliqueuses. La révolution est une force de nos jours, et nous n’hésiterions pas à la retourner contre l’Autriche si elle s’alliait à la France. Le terrain est tout préparé. La dépêche de M. de Werther sur le couronnement de l’empereur François-Joseph n’est rien moins qu'apocryphe ; elle est un avertissement. Qui nous empêcherait de nous ménager des intelligences