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plutôt dans une voie systématique de bons procédés à notre égard. Mais il craignait qu'une nouvelle pression ne produisît un résultat tout contraire.

Plus, en effet, on s’expliquait, plus on multipliait les efforts de conciliation et plus se faisait jour l’antagonisme sorti des événemens de 1866. Le moindre incident suffisait pour faire renaître les anxiétés, car il révélait un état aigu qui semblait ne plus laisser de place à aucune transaction. A Paris, on s’endormait volontiers dans une trompeuse tranquillité dès que les points noirs s'atténuaient; mais, en Prusse, on ne perdait pas de vue un seul instant la réalité des choses. L’éventualité d’une guerre avec la France s’imposait à toute heure aux préoccupations de la cour de Berlin.

Au moment où notre diplomatie interrogeait le gouvernement prussien sur ses intentions au sujet de l’article 5 du traité de Prague, le roi Guillaume se trouvait à Ems. Il avait l’habitude, lorsqu'il s’éloignait de sa capitale, d’emmener avec lui une partie de son cabinet politique et de son cabinet militaire. Il tenait aussi à s’entretenir, dans les stations thermales, durant les séjours qu'il faisait si volontiers, avec ses représentans à l’étranger. C’est en causant avec eux et en les mettant à leur aise qu'il cherchait à se renseigner, mieux encore que par leurs dépêches, sur l’opinion des pays où ils résidaient et sur les sentimens des cours auprès desquelles ils étaient accrédités. C’était, chez lui, un précepte d’état de se consacrer en quelque sorte exclusivement, sans permettre à son activité de s'éparpiller, aux soins de l’organisation de son armée et de sa politique extérieure. — Ora et labora était sa devise.

Parmi les diplomates accourus dans la vallée de la Lahn se trouvait le comte de Bernstorff, ambassadeur de Prusse à Londres. Le roi tenait à être exactement renseigné sur les dispositions de l’Angleterre en prévision d’une conflagration générale, qu'on était loin de souhaiter, mais qu'on semblait toujours considérer comme inévitable, sinon comme imminente.

Voici ce qu'on écrivait d’Allemagne sur les inquiétudes qui se manifestaient alors à la cour de Prusse : « Vous voudrez bien me permettre de vous résumer les considérations que l’ambassadeur du roi à Londres a émises, à son retour d’Ems, dans des entretiens dénués de tout caractère officiel. M. de Bernstorff aurait protesté contre les arrière-pensées belliqueuses que l’on prête si volontiers à son gouvernement. «Pourquoi la Prusse, aurait-il dit, poursuivrait-elle la guerre ? N’a-t-elle pas à s’assimiler ses conquêtes, à se préoccuper de son développement intérieur, et serait-il sage de risquer les avantages que lui ont valus la dernière guerre? Ses intérêts