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de la Prusse avaient soulevé une question danoise, tout aussi digne d'éveiller la sollicitude du cabinet de Pétersbourg. Il s’efforça de lui faire comprendre qu'une démarche pressante de sa part auprès du comte de Bismarck, qui l’écoutait si volontiers, ne manquerait pas de l’impressionner et qu'il rendrait ainsi à la paix, et à la France en particulier, un signalé service.

Le prince Gortchakof ne se fit pas prier ; il adressa une dépêche officielle au gouvernement prussien et écrivit une lettre particulière à M. de Bismarck, qui se trouvait alors à Varzin[1]. Il intervenait volontiers entre Paris et Berlin ; il lui plaisait de recevoir les confidences de deux cours rivales et de leur donner des conseils. Le rôle de conciliateur lui offrait plus d’un avantage, flattait son amour-propre et lui permettait de régler le jeu de sa politique.

« Je tâcherai d’être bref, mon cher comte, écrivait-il au solitaire de Varzin dans un langage qui n’était pas exempt d’emphase, pour ne pas introduire dans votre retraite agreste un élément qui en troublerait la quiétude. Toutefois, ayant aperçu un écueil dans les eaux où nous naviguons en commun, je ne peux pas me dispenser de le signaler au pilote habile qui en a tourné tant d’autres.

« j’aime à croire que, comme moi, vous avez emporté de Paris l’impression que l’empereur Napoléon désire sincèrement la paix, mais qu'il reconnaît les difficultés de la maintenir durablement au milieu des passions qui s’agitent autour de lui et qu'il compte sur votre concours pour lui faciliter la tâche.

« Nous avons épuisé ce thème jusqu'à satiété. Vous vous rappelez que d’autres questions vous ont été signalées comme celles que les esprits ardens pourraient exploiter pour surexciter les passions : la question d’Allemagne et celle du Schleswig.

« Quant à la première, la lettre que j’ai adressée d’ordre de l’empereur à Budberg, le 28 juin, et dont la copie est entre vos mains, vous aura rendu compte de nos efforts pour rassurer la cour des Tuileries. Ils n’auront pas été infructueux, je l’espère.

« Mais la question danoise reste en souffrance et je ne vois pas d'issue dans la voie où l’on est entré. Je suis convaincu de l’équité et même de la générosité des sentimens du roi Guillaume. Je suis également pénétré de la hauteur de vos vues, de l’élévation d’une pensée qui n’embrasse que de vastes horizons et du jugement supérieur d’un homme d’état qui ne confond pas les petits intérêts avec les grands. Sous ce dernier rapport il n’y en a pas qui aient aux

  1. Papiers de M. de Moustier. — Le prince Gortchakof fit remettre à M. de Moustier, par le baron de Budberg, une copie de sa lettre au comte de Bismarck pour lui administrer une preuve manifeste de son désir de nous être utile.