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tendances, tant à la tribune que dans ses entretiens avec les chefs parlementaires. Il avait parlé en homme d’état qui compte avec les réalités, mais son langage dépassait la sagesse du pays et ne répondait pas à ses instincts.

Les masses en Bavière étaient moins passionnées pour le sentiment de l’unité que pour la liberté. Il en était de même dans tout le Midi. Dès le lendemain de 1815, des tribunes s’étaient élevées à Munich, à Stuttgart, à Carlsruhe, malgré les réclamations de la Prusse et de l’Autriche. En 1848, on avait protesté non-seulement contre la constitution que le parlement allemand venait de décréter à Francfort, mais une partie de l’assemblée constituante s’était retirée à Stuttgart pour se défendre contre l’hégémonie prussienne, et la république était proclamée dans le grand-duché de Bade.

Ces souvenirs, auxquels s’ajoutaient les ressentimens de 1866, étaient trop récens pour ne pas imposer au ministre dirigeant du roi Louis une grande circonspection dans ses négociations avec la Prusse. Il avait à se justifier du reproche d’être l’exécuteur complaisant des volontés du cabinet de Berlin. Et cependant ce n’était pas le prince de Hohenlohe qui avait signé les traités d’alliance, il les avait trouvés dans les archives de son ministère. Il avait en revanche sauvegardé, dans une mesure inespérée, les intérêts économiques de la Bavière lors de la reconstitution du Zollverein ; il avait refusé obstinément de livrer à la Prusse les postes et les télégraphes, et dans les pourparlers au sujet des places fortes et de la réorganisation de l’armée, il avait prouvé qu'il n’était pas homme à sacrifier l’autonomie militaire de son pays. Au lieu d’être secondé dans ses efforts par ses collègues du Midi, il n’avait rencontré que du mauvais vouloir ou des arrière-pensées mesquines à Stuttgart et à Carlsruhe. A l’intérieur, ses difficultés n’étaient pas moins grandes. Les affaires les plus urgentes restaient pendant des mois accumulées dans le cabinet du roi ; la présidence du conseil n’était qu'illusoire, car chaque ministre agissait à sa guise, la solidarité n'existant pas dans les actes du gouvernement[1]. Aussi le prince

  1. Dépêche d’Allemagne. — « Le pont en pierre construit sur le Rhin, entre Manheim et Ludwig-hafen, destiné à relier les lignes ferrées du grand-duché de Bade et de la Bavière rhénane, sera inauguré dans le courant du mois d’août. On s’était flatté que le roi Louis rehausserait par sa présence l’éclat de cette fête. On y comptait d'autant plus qu'il s’est refusé, depuis son avènement au trône, à visiter le Palatinat, qu'on a aujourd'hui un véritable intérêt à ménager, car les populations de cette province se montrent particulièrement mécontentes de l’impôt projeté sur le tabac et de l'aggravation des charges que leur vaut le nouvel état de choses en Allemagne. Le baron Charles de Rothschild s’était rendu à Munich, au nom de la compagnie du chemin de fer de Ludwig-hafen, dont il est le président, pour inviter Sa Majesté bavaroise. Mais, , malgré sa grande situation financière et l’appui qu'il a prêté récemment au crédit de la Bavière, il n’a pas pu, bien qu'appuyé par le président du conseil, arriver jusqu'au roi, qui, depuis sa brouille avec l’auteur du Tannhaüser, serait moins accessible que jamais. M. de Rothschild est revenu de Munich assez mortifié de l'insuccès de sa démarche. Il m’a fait de la cour de Bavière un tableau peu édifiant. Il m’a dit que le roi était inaccessible à ses ministres, qu'il fallait la croix et la bannière pour lui enlever une signature, qu'il subordonnait les affaires de l’état aux rêves de son imagination. Ces détails, et d’autres encore que m’a donnés M. de Rothschild, montrent dans quelles conditions difficiles s’exerce le pouvoir en Bavière; ils expliquent aussi l’affaissement politique d’un pays jadis ambitieux et qui perd insensiblement le souvenir de son indépendance passée et les traditions de son histoire. »