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avec le sentiment général. On aurait pu dire, sans soulever d’inquiétantes protestations en Europe, que rien n’était changé dans la Confédération germanique, si ce n’est que l’Autriche y était en moins. La Prusse pouvait prétendre à venir au lieu et place de l’ancienne diète et éviter ainsi les discussions irritantes qui s’étaient élevées dès le lendemain de la guerre et qui pouvaient s’élever encore à propos des places fortes. C’était la politique poursuivie en 1849 par le général de Radowitz; la Prusse formait une union restreinte avec les états du Nord et, sous son hégémonie, une confédération de tous les états allemands, alliés à l’Autriche. C’est ce qu'on appelait la grande union de l’Allemagne.

On se méprenait étrangement sur la pensée qui avait présidé à la guerre de Bohême. C’est à la Prusse seule qu'on songeait alors pour l’organiser compacte, centralisée; le gouvernement et les partis n’étaient soucieux que de sa grandeur : ils exploitaient l’idée allemande au profit de l’idée prussienne. « Je suis plus Prussien qu'Allemand, » disait le comte de Bismarck au général de Govone, à la veille de la guerre. Le roi, après ses victoires, ne pensait plus qu'à s’arrondir aux dépens de ses anciens confédérés, certain que personne ne serait en état de l’empêcher « de faire un tout de ses possessions. » — « Je ne connais pas de plaisir plus grand pour un mortel, disait Frédéric II après la campagne de Silésie, que de réunir et de joindre des domaines pour faire un tout de ses états. » On tenait à se rembourser des frais de la guerre et à reconstituer le trésor militaire qui avait permis d’entrer en campagne sans demander de crédits aux chambres. Il fallait aussi des dotations aux généraux, des places à la bureaucratie, et le parti féodal se souciait peu du parlement allemand, que M. de Bismarck, avant de rompre avec l’Autriche, réclamait à la diète dans son projet de réformes. Les conservateurs ne voyaient pas sans appréhension l’extension de la Prusse au-delà du Main, il leur répugnait d’entrer dans une union avec le Sud dépassant les limites d’une alliance militaire et économique. Ils sentaient qu'une fusion plus intime nécessiterait un organe central dangereux pour leurs prérogatives ; ils prévoyaient qu'ils seraient débordés, que leur influence serait paralysée par l'appoint considérable que les députés du Midi apporteraient au parti libéral prussien. Leur programme était bien moins ambitieux que celui du premier ministre, qui, pour accomplir son œuvre, n'hésitait pas à rompre avec ses principes réactionnaires et à pactiser avec la révolution.

Du reste, dans ce fatal mois de juillet 1866, le gouvernement de l'empereur avait perdu le sang-froid et la clairvoyance. Il ne se serait pas prêté à la reconstitution de la Confédération germanique, sous l’hégémonie de la Prusse et sous le contrôle de l’Europe ; il