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l’an, et, en outre, administrer un immense empire, soutenir de temps à autre la guerre contre un puissant voisin, sans cesse comprimer l’insurrection de ses provinces et faire face aux convoitises de ses bons alliés. Maintenir une énorme masse, toujours agitée de mouvemens violens, debout sur une base trop étroite qui se rétrécit et se dérobe, paraît un problème insoluble.

Ce qui empêche tout progrès, c’est le défaut de sécurité pour la propriété et les personnes. Je prends au hasard quelques faits dans mon carnet. Le directeur de la forêt de Bellova appartenant aux chemins orientaux vient d’être enlevé par les brigands ; il faut payer 150,000 francs de rançon. Une bande fouille le train au pied de la rampe de Dédéagh, croyant y trouver le directeur général : heureusement, il a retardé son voyage d’un jour et il échappe. Je suis reçu par un haut dignitaire de la cour ; le sultan vient de lui faire cadeau d’un très beau domaine, non loin d’une voie ferrée. Je demande quelques renseignemens sur le système de culture. — « Je n’ai pas encore visité ma propriété, me répond le personnage, le pays n’est pas très sûr. » Le département de l’agriculture veut organiser des fermes modèles ; mais il n’ose faire résider les élèves à la campagne. Un riche propriétaire me dit qu’il avait des terres en Thessalie : la nouvelle frontière accordée à la Grèce en a laissé une partie sous la Turquie ; le reste, qui est devenu territoire grec, a doublé de valeur. Un riche banquier, aux portes de Constantinople, possède une magnifique ferme complètement entourée d’un gros mur comme une forteresse ; les brigands y ont fait une brèche et ont emmené les buffles. Quelque temps auparavant, les habitans d’un village voisin sont venus mettre en culture une partie de ses terres ; il s’adresse au juge pour rentrer en possession. Le cadi lui fait entendre que ces pauvres gens n’ont pas assez de terrain ; il est forcé de transiger, en leur cédant le quart de sa propriété. Il loue une partie de ce qui lui reste à des bergers, qui, la seconde année, ne paient plus le loyer convenu. Il veut les citer devant le cadi ; ce n’est plus le même, mais lui réponse est semblable. Les malheureux n’ont que leurs moutons, voulez-vous les ruiner ? c’est du socialisée agraire, comme on le réclame pour l’Irlande : rien de mieux ; seulement, c’est à dégoûter de la propriété. Le Turc est naturellement très humain ; il a grand’ pitié des pauvres, et jamais il ne maltraite ni un chien ni un cheval. Mais le système n’est pas fait pour encourager l’agriculture. Ajoutez à toutes « ces plaies, » la justice vénale, la succession incertaine, la perception inégale et arbitraire des impôts et vous ne serez pas au bout de la litanie.

À tant de causes de décomposition M. de Blowitz a trouvé un remède. Il y a pour 2 milliards de vakoufs ; qu’on les vende : avec le produit, on remboursera la dette flottante, on fera des routes, on paiera