Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sérieux que ces colonies et ces îles éloignées que les grands états se disputent maintenant. Permettez aux Bulgares de jouir des fruits de leur activité et ils s’enrichiront, car ils savent à la fois produire et épargner, et alors, grâce aux chemins de fer, l’Angleterre pourra vendre ici ses fers et ses quincailleries, l’Autriche et l’Allemagne leurs étoffes à bon marché, et la France ses objets de luxe. Puisque tous, y compris la Grèce et la Serbie, invoquent le traité de Berlin au profit de la Turquie, qu’on lui impose au moins de mettre à exécution la meilleure des dispositions que ce traité contient.

Qu’on y réfléchisse à Constantinople : par la bouche d’un allié sincère, mais clairvoyant, lord Salisbury, l’Angleterre a fait entendre un avertissement solennel. Le rapport accompagnant la communication du traité de Berlin, faite à la chambre des communes, le 13 juillet 1878, par lord Salisbury, se terminait par la phrase suivante : « La question de savoir si la Turquie saisira l’occasion, — probablement la dernière, — qui lui est fournie par l’intervention des puissances européennes, et de l’Angleterre en particulier, ou si elle la laissera, passer, dépendra de la sincérité avec laquelle les hommes d’état turcs s’appliqueront désormais à accomplir les devoirs de bons gouvernans et à introduire des réformes. » Le 7 octobre dernier, lord Salisbury s’exprimait ainsi dans un discours-programme : « Notre politique doit être de soutenir la Turquie partout où son autorité peut être avantageuse, mais quand il est prouvé par les faits que son gouvernement est funeste au bien-être des populations, dans ce cas, nous devons tâcher de faire naître et d’appuyer des nationalités indépendantes qui apporteront un heureux et important renfort à l’avenir de la liberté en Europe. » Si la Turquie s’obstine à ne pas ; écouter ces sages conseils, deux dangers la menacent. d’abord des troubles permanens achèveront de la ruiner, ainsi qu’on le voit en ce moment, et, en second lieu, pour mettre un terme à une situation intolérable, une intervention étrangère paraîtra nécessaire. Les progrès réalisés en Bosnie, depuis qu’elle est soustraite aux autorités ottomanes, et la proximité des troupes autrichiennes campées à trois ou quatre journées de marche du chemin de fer de Mitrovitza-Salonique, laissent deviner à quelle puissance l’Europe confierait cette mission humanitaire. Comme l’a dit lord Salisbury, et en 1878 et en 1885, l’empire ottoman ne peut continuer à subsister qu’en assurant l’ordre et la sécurité aux populations qu’il tient encore sous sa loi, car il sera de plus en plus incapable de supprimer leurs révoltes, et il trouvera de moins en moins l’opinion européenne disposée à tolérer les barbaries que toute tentative de compression amènerait à sa suite.

— Pour me rendre à Constantinople, je pars par le chemin de fer ottoman. Il faut deux jours pour arriver à destination, quoiqu’il n’y ait que 498 kilomètres. Mais il n’y a qu’un train par jour,