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de la Maritza, s’étend la forêt de Bellova. Nous arrivons vers neuf heures du soir à Tatar-Bazardjik, au grand trot de nos braves chevaux, qui ont fait honneur au sang hongrois, car ils courent depuis quatre heures du matin avec deux heures de repos au milieu du jour. Nous trouvons à nous loger très convenablement dans un grand hôtel tout neuf, que l’église orthodoxe a fait construire au bord de la Maritza. Du balcon qui domine le fleuve, on voit au clair de lune arriver son flot largement épandu sur un lit de cailloux peu profond. Bazardjik est un chef-lieu de préfecture, avec 15,000 habitans ; il n’a pas encore perdu son cachet de ville turque, quoique les troupes ottomanes en se retirant en aient dévasté et brûlé une partie. Le préfet, qui vient causer avec nous, après le souper, nous dit que chrétiens et musulmans vivent en paix ; seulement ceux-ci s’imaginent encore que l’état actuel est provisoire et que l’autorité du sultan sera rétablie. Si elle l’était, même momentanément, Dieu sait par quels excès ils se vengeraient d’avoir à subir l’égalité devant la loi !

« Sans le voisinage du Rhodope, nous dit le préfet, le pays ici serait parfaitement sûr, comme tout le reste de la Roumélie. Mais des gorges de ces montagnes sauvages sortent des brigands qui viennent opérer des razzias dans nos plaines fertiles, et nous ne pouvons les poursuivre sur le sol de la Macédoine où ils se réfugient. Les ouvriers sont bien payés relativement au prix des denrées. Un manœuvre obtient 2 francs par jour, un menuisier 4 à 5 francs, et la viande de mouton ne coûte que 1 franc l’oka (1 kil. 278), un couple de poulets 1 fr. 50 et une paire de buffles 600 francs. »

En partant de Bazardjik à sept heures du matin, je suis à 8 h. 30 à Philippopoli, capitale de la province semi-indépendante de la Roumélie orientale. La vallée de la Maritza, que nous suivons, est d’une fertilité merveilleuse. Les vignes basses, comme en France, ont une frondaison d’une étonnante vigueur, et les nombreuses grappes qui mûrissent ne sont atteintes ni par le phylloxéra ni par l’oïdium. Le vin dans toute cette région est d’excellente qualité ; très corsé, il tient le milieu entre celui de la Bourgogne et le Val de Peñas espagnol. Il ne coûte que 30 à 40 centimes le litre. Les champs sont emblavés de froment, de maïs et de beaucoup d’orge. Comme en Asie, on en nourrit les chevaux plutôt que d’avoine. À droite se prolonge, parallèlement à la Marilza, la chaîne du Rhodope ou du Despoto-Dagh ; à gauche, se profilent les sommets plus éloignés des Balkans. Au milieu de la plaine surgissent soudain sept mamelons abrupts de syénite. Ils sont couronnés par les maisons de Philippopoli et de ses faubourgs. Aussi les habitans se vantent-ils de pouvoir s’appeler, comme Rome, la ville aux sept collines. Le docteur Stoyan Tchomakof Aient nous prendre à la