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mieux qu’autrefois. Du temps des Turcs, les spahis présidaient à la rentrée de la dîme, et ils prenaient ce qui était à leur convenance. Une nuée de collecteurs et de scribes se répandaient sur le pays comme des sauterelles. On ne pouvait rentrer la moisson avant qu’ils eussent prélevé la dixième gerbe, et il fallait les payer, sinon ils laissaient pourrir vos récoltes sur place. Maintenant la dîme a été fixée une fois pour toutes. Chaque village connaît la quote-part qu’il doit payer et il la répartit ensuite entre les habitans. »

En descendant vers Ichtiman, nous suivons une belle vallée très fertile et où la culture n’est pas mauvaise ; le froment, le seigle et le maïs sont de belle venue. À l’entrée de la bourgade, nous rencontrons un cortège de noce d’un effet ravissant. C’est une mariée bulgare qu’on reconduit dans le village du mari. Les hommes à cheval exécutent une fantasia, en tirant des coups de fusil et de pistolet. Les femmes portent des costumes charmans, beaucoup plus voyans et plus gais que dans la Bulgarie centrale. Leurs cheveux retombent derrière la tête, en longues tresses garnies de fleurs ; sur le front est coquettement posée une calotte grecque en velours, toute couverte de perles et de plumes. Une petite veste bordée de galons d’or et fortement échancrée sur la poitrine, laisse apparaître une chemise fine, brodée aux manches et au col de laines aux couleurs vives. Sur le jupon brun, aussi garni de broderies, est noué un tablier en soie rouge. La soie ! c’est déjà le midi. Le type est ici très différent de celui des paysans Chops des environs de Sophia. Les femmes ont le teint clair, et les cheveux blonds, et les hommes l’air moins sombre, plus ouvert. Nous sommes ici dans la Roumélie orientale. L’agent de la douane s’excuse très poliment, et en français, de devoir visiter nos malles. Les gendarmes, avec leurs larges pantalons bleus, engagés dans des bottes hautes, leur capote blanche et le talpak de peau d’astracan, orné d’une croix de cuivre, ont vraiment très bon air. Ils portent aussi leur sabre à la façon russe.

Nous nous arrêtons chez un aubergiste turc, dont la maison est nouvellement construite. L’aspect en est pittoresque. Elle est toute en bois, avec un grand balcon surplombant sur la rue. À l’intérieur, sur les plafonnages, blanchis à la chaux, s’enlèvent crûment des dessins, fleurs et arabesques, d’un bleu vif ; c’est le goût oriental. On ne peut s’imaginer avec quel peu de soin cette habitation est construite. Du premier, on voit ce qui se passe au rez-de-chaussée à travers les fentes du plancher. Les cloisons des chambres sont en planches clouées sur des poutrelles qui ont conservé leur écorce. Les tuiles mal posées laisseront filtrer la pluie. Nul souci du confort ou de la durée. Est-ce manque de capital, prévision du prochain